Chapitre 3

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À l'époque où Indra avait proposé son amicale compétition sportive, Clarke avait été emballée. Aujourd'hui, elle regrette amèrement d'avoir donné son vote et ainsi l'unanimité à la guerrière Trikru.

Elle ne connaît les règles du football que parce qu'elle les a étudiées attentivement toute cette dernière semaine, angoissée à l'idée de disputer son match sans savoir ce qu'elle a à faire. Cependant, elle est aussi perdue aujourd'hui sur le terrain que la première fois qu'elle a lu la définition du hors jeu. Et bien sûr, elle peut remercier Bellamy pour ça. Son ex-meilleur ami et elle sont dans la même équipe, mais ils auraient aussi bien pu être adversaires, tant les piques, les coups d'épaules, les tacles et les regards noirs fusent entre eux.

Après le choc original de la phrase qu'il lui avait lancée et dont les mots résonnaient encore à ses oreilles comme le sifflement qui refusait de quitter vos tympans après une gifle, le sentiment qui avait envahi Clarke pour ne plus la quitter était la colère.

Une colère froide et clinique. Une colère qui lui imposait de rendre coup pour coup. Une colère qui la faisait vibrer d'énergie et de ressentiments et qui lui criait de ne pas se laisser faire.

Ce n'est qu'à la mi-temps, après s'être pris trois buts de la part de l'équipe adverse sans en avoir marqué un seul, que Raven commence à laisser exploser sa propre colère. Depuis toutes ces années, Clarke a presque oublié que la mécanicienne est autant animée par l'envie de gagner qu'elle l'était elle-même il y avait de cela longtemps, voire peut-être même davantage, à en croire par sa mine empourprée et ses cheveux noirs ébouriffés.

Cependant, Clarke ne remarque rien de tout cela, alors occupée à échanger avec Bellamy des mots qu'elle n'aurait jamais cru dire et entendre venant de sa bouche. N'importe qui, en entendant Bellamy lui crier qu'elle n'est pas fiable et qu'il ne peut pas compter sur elle puisqu'elle refuse systématiquement de lui faire la passe pourrait penser qu'il parle vraiment de football. La première personne venue, en entendant Clarke lui répondre que si elle prefère jouer seule c'est parce qu'il est de toute façon incapable d'aller au bout des choses et d'aller marquer, pourrait imaginer qu'elle discute de stratégie de jeu.

Raven les connaît suffisamment pour ne pas se laisser duper.

Elle s'interpose entre eux deux avec une force qui surprend Clarke, et lui permet aussi de réaliser qu'un cheveu à peine la séparait de Bellamy, tant ils ont gravité l'un vers l'autre au fur et à mesure que leur dispute s'envenimait. La blonde ne s'aperçoit de la chaleur bienfaitrice qu'émanait son corps, de son parfum entêtant qui l'entourait et de son timbre puissant qui faisait vibrer chaque fibre de son être que lorsqu'ils lui sont arrachés. Elle ne reprend ses esprits que lorsque Raven s'insère entre eux, chacune de ses mains posée sur le torse des deux leaders, comme pour les séparer.

"Ça suffit !" crie la brune, dont la queue de cheval balance de droite à gauche au fur et à mesure qu'elle lance son regard assassin à Bellamy, puis à Clarke. "Si vous regardiez un peu ce qui se passe autour de vous, vous vous rendriez compte que nous sommes en train de perdre et que c'est en grande partie de votre faute. Alors, maintenant, vous allez sortir la tête de vos culs, arrêter de ne penser qu'à vous et nous aider à mettre une raclée à Nelson et son équipe, pigé ?"

Clarke n'ose pas avouer qu'elle n'a même pas remarqué qu'ils jouaient contre Nelson, mais c'est ainsi qu'elle réalise que Raven dit vrai. Elle n'a pas la tête dans le jeu et son cœur n'est pas à la victoire. Tous deux sont, comme d'habitude et même dans la colère la plus absolue, tournés vers Bellamy. Lui-même semble seulement se rendre compte de là où il se trouve et de ce qu'il est en train de faire. Une expression désolée s'affiche sur son visage lorsqu'il tourne enfin son regard vers Raven.

"Désolé, tu as raison."

Malheureusement, cela ne semble pas suffisant pour la mécanicienne. Ses sourcils sont toujours froncés sous une rage à peine contenue et Clarke se sent soudain comme l'enfant grondée par sa mère. Raven intensifie ce sentiment en ordonnant :

"Maintenant, excusez-vous, serrez-vous la main et aidez-nous à gagner ce foutu match."

Elle s'efface d'un pas et la chaleur de Bellamy revient frapper Clarke comme une vague dans laquelle elle se laisserait bien volontiers emporter. Ses yeux bruns refusent de rencontrer les siens et accrochent, hésitants, la courbe de ses lèvres, sa nuque délicate, un point au-dessus de son épaule, tandis que leurs deux mains se touchent pour la première fois depuis ce qui semble à Clarke être une éternité.

Ça fait mal, de penser que se fondre dans ses bras était autrefois ce qui lui semblait le contact le plus naturel au monde.

"Je suis désolée," murmure-t-elle, et comme toujours, sa voix porte le fardeau de tout ce pourquoi elle aimerait être pardonnée.

Bellamy rencontre enfin son regard et, pour la première fois, Clarke est presque sûre qu'il l'a non seulement entendue, mais aussi écoutée. Ses prunelles sont calmes et calculatrices, un contraste affolant avec la fournaise de rage et de passion qui les rendaient incandescentes cinq minutes plus tôt, tandis qu'ils se criaient dessus.

L'espoir emplit la poitrine de Clarke avec la courte inspiration qu'elle prend. Ce n'est qu'une étincelle, animée par la sincérité qu'elle parvient à lire en Bellamy, cachée sous la morosité et la honte de s'être laissé aller à tant d'émotions en public. Une étincelle fragile et délicate, que Clarke pourrait tenter d'étouffer, si ce n'était pas la première fois depuis ce soir fatidique sur Sanctum, qu'il lui disait ces mots.

"Je suis désolé," avait-il dit avant de se tourner vers les autres disciples pour leur confier le carnet de dessin de Madi.

"Je suis désolé," lui murmure-t-il à cet instant, et cette fois, tout est différent. Cette fois, Clarke décide de le croire. Cette fois, Clarke décide d'accepter son excuse, même infime, même fragile, même délicate.

Un coup de sifflet les ramène tous les deux à la réalité et leurs mains se séparent, leurs paumes encore vibrantes sous la chaleur du contact de l'autre. Bellamy n'a pas le temps de mettre des mots sur les différentes émotions qui l'ont envahi, tout comme Clarke n'a pas le temps de décortiquer chaque détail de ce qui vient de se produire. Tous deux sont emportés sur le terrain par la vague d'enthousiasme qui semble soudain soulever chaque membre de leur équipe.

Quinze minutes plus tard et le signal de fin de match sifflé, leur équipe n'a pas gagné, malgré leur belle remontée. Cependant, en sentant le poids de la culpabilité glisser légèrement de ses épaules et en attrapant à la volée le sourire timide que Bellamy lui offre tandis que les deux équipes se félicitent, Clarke ne s'est pas sentie aussi victorieuse depuis longtemps.

***

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