Chapitre 1

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14 février 2285

Clarke se demande comment elle en est arrivée là : à danser dans les bras de l'homme dont elle est amoureuse, mais qui refuse seulement de croiser son regard.

Dans sa poitrine, son cœur bat à tout rompre. À chaque point de contact de leurs deux corps, l'électricité parcourt sa peau et fait vibrer sa main gauche liée à la sienne. Le feu parcourt ses veines et la réchauffe de l'intérieur, incendie la paume qu'elle a posée sur son épaule mais aussi le bas de son dos où repose respectueusement la senestre de son cavalier. Sa tête tourne sous l'effet de l'alcool fruité qu'elle a passé sa nuit à siroter, des cordes qui résonnent et chantent autour d'eux, de la façon dont elle pivote doucement sur elle-même au rythme de leurs pas. L'air est saturé de son parfum entêtant, musqué, naturel, mélange de senteurs qui lui rappellent la forêt d'Eden, qui lui manque tellement, et qui représente tellement tout ce qui fait son essence à lui aussi— tout ce qui fait qu'il est Bellamy.

C'était pourtant en partie son idée, cette fête, ces jeux, ces ateliers, ces danses, ces rencontres. Pousser les gens à se retrouver pour qu'ils se découvrent, pour qu'ils tombent amoureux, pour qu'ils forment des couples qui, à leur tour, formeront un jour des familles et auront des enfants, permettant ainsi à la race humaine de continuer à vivre.

Comment a-t-elle pu seulement oublier qu'elle aussi faisait partie de ces célibataires endurcis sur qui repose l'avenir de l'humanité ? Comment a-t-elle pu se laisser prendre à revers par son propre jeu ?

Clarke l'ignore et ne veut pas savoir. Tout ce qu'elle veut à cet instant, c'est se fondre dans les bras puissants de Bellamy. Laisser la musique s'effacer jusqu'à n'entendre plus que le battement tranquille et apaisant de son cœur contre son oreille, ne plus jamais penser à rien pour que cet instant dure toujours et surtout— surtout — ne pas parler.

***

L'absence de naissances est un problème auquel Clarke ne veut pas penser. Elle a eu assez à faire, après la mort de Cadogan, la défaite des Disciples, la destruction des Pierres d'Anomalie, l'emprisonnement de Sheidheda et la construction de non seulement un, mais de deux différents campements sur Alpha.

Elle a d'ailleurs à peine eu le temps de compléter sa formation de médecin / chirurgien / gynécologue / infirmière / anesthésiste, aka véritable couteau suisse de la médecine moderne. La seule raison pour laquelle elle a finalement obtenu l'autorisation de Jackson de travailler, c'est parce qu'elle a refusé de porter aussi la casquette de thérapeute. Après tout, elle parvient à peine à gérer ses propres traumatismes, ce n'est pas pour aider les autres à naviguer dans les eaux troubles des leurs.

Depuis presque un an, maintenant, les trois campements d'Alpha : Sanctum, Terra et Solus, sont installés et vivent en paix les uns avec les autres, mais Clarke est encore loin de pouvoir souffler.

Au début, tout le système politique avait été à revoir.

Les Natifs ne croyaient plus en la Flamme et aux Commandants.

Les Bardoiens avaient abandonné le dogme imposé par leur leader et embrassaient tant bien que mal l'idée que l'amour pouvait aussi être une chose égoïste et personnelle qu'il pouvait chérir avec la même ferveur.

Les Sanctumites avaient finalement compris que leurs Dieux n'étaient que des humains qui refusaient de mourir.

Les Enfants de Gabriel avaient désormais atteint le but qu'ils s'efforçaient d'atteindre depuis des décennies.

Les ex-prisonniers d'Eligius avaient gagné leur rédemption et tentaient d'abandonner leurs mauvaises habitudes.

Quel beau bazar qu'une société en pleine renaissance, sur une planète où tout reste encore à construire.

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