Je porte le deuil le plus insignifiant du monde. Celui d'un amour explosif, passionnel, étourdissant, qui a fané encore plus vite qu'il n'a éclos. Et même si je sais que je dois l'oublier, et qu'il n'était pas si beau que ça, je ne peux pas me l'ôter de la tête.
Je vous arrête tout de suite : tout va très bien avec mon copain.
Je ne parle pas d'une personne faite de chair et d'os, oh non, pas du tout. Ce serait si facile à gérer, j'ai l'habitude (je fanfaronne pour cacher ma souffrance, mais ne vous laissez pas prendre à ce petit jeu : je n'ai jamais digéré la moindre peine de cœur, qu'elle soit amicale ou sentimentale).
Mon problème, aujourd'hui, c'est qu'aucun de mes amis ne voudra m'écouter pleurer, un pot de glace à la main, quand il comprendra ce qui me serre le cœur. Parce que c'est beaucoup trop bête et qu'ils ont tous des choses plus importantes à faire.
Puisqu'il faut tout vous dire, voilà : j'ai cru trouver la meilleure histoire de loups-garous de Wattpad.
Je sais ce que vous allez me dire. « Voyons Ophélie, tu en as trouvé des tas des histoires comme ça, il y en a plein ta bibliothèque : des drôles, des sexy, des palpitantes. En anglais et en français. Et même une ou deux ridiculement puériles, que tu relis avec la même attitude de conspiratrice qu'un enfant qui viendrait de voler un biscuit. »
C'est vrai. Mais dites-vous que, l'espace de quelques heures, j'ai cru trouver une romance qui dépassait sur tous les points mes précédentes lectures.
Elle était drôle et bien écrite, avec des personnages et une intrigue crédibles. Il y avait de la tension sexuelle, du suspense, et les prémices d'une intrigue secondaire. Je m'étais déjà attachée à l'héroïne et je me disais que je lisais exactement ce que j'aimerais pouvoir écrire.
Autrement dit : j'étais personnellement attachée à cette histoire.
Sauf que tout s'est rapidement dégradé. Il fallait bien que ce moment d'euphorie soit suivi par la lacération méthodique de mon pauvre petit cœur.
Au bout de sept chapitres à peu près, alors que j'étais déjà à moitié amoureuse du love interest, il y a eu un curieux tournant. Tout à coup, l'originalité rafraîchissante de l'intrigue a subi une déferlante de clichés : shopping avant un date, crush qui vient sauver l'héroïne contre des voyous harceleurs sexuels, et même mise rivalité avec une meuf canon. Bon... j'étais un peu refroidie, mais après tout, il peut arriver à de très bonnes histoires d'avoir un coup de mou. Ça pouvait encore repartir dans la bonne direction.
Et puis il y a eu le point de non-retour : la crise de jalousie si violente que le mec décide de brûler les affaires de l'héroïne. De. Les. Brûler.
Elle, elle est enfermée dans une voiture, le nez collé au carreau, en train de pleurer toutes les larmes de son corps, et quand le type revient, elle est obligée de lui dire que « non bien sûr je n'ai pas eu de date avec une autre homme que toi, tu es le seul et unique, même si tu flirtes ouvertement avec une nouvelle bombasse tous les jours que Dieu fait. »
Toxique as fuck.
La DÉCEPTION.
Pourquoi m'as-tu fait ça, ô délicieuse histoire de loups-garous ?! On aurait pu être si heureuses ensemble, mais tu as choisi de transformer ton jeune homme sexy et légèrement dragueur en connard ultime !
Vous vous dites sans doute qu'à ce moment-là, j'ai décidé d'arrêter les frais, mais c'est bien mal connaître l'effet déraisonnable que produit sur les esprits faibles une idylle encore fraîche. J'étais déçue, mais je ne voulais pas en rester là. J'ai continué à lire.
Évidemment ça a été de pire en pire. Le lycéen d'à peine dix-huit ans se révèle aussi être un chef d'entreprise à mi-temps, et il « annule tous ses rendez-vous » pour sauver la vie de l'héroïne, perdue en forêt dans un état d'hypothermie agravé, ce qui exige qu'ils dorment ensemble tous nus sous une grosse couverture. Ensuite il y a un date très crédible sur un yacht au soleil couchant (techniquement, ils n'ont pas cessé d'être des lycéens). Le mec exprime sa jalousie ultra-possessive de toutes sortes de manières gênantes mais à aucun moment l'héroïne ne lui demande d'expliciter ce qu'il ressent pour elle : c'est évident qu'il est amoureux, elle est à la seule à ne pas le comprendre, et c'est bien pratique pour faire tirer l'histoire en longueur, mais franchement c'était peut-être pas nécessaire.
Il faut aussi que je vous parle des commentaires dans la partie anglophone de Wattpad : les meufs sont tellement plus salées qu'en français ! Toutes les bizarreries de l'histoire ont été soulignées de façon extrêmement piquantes, et en particulier le fait que l'histoire nous ait promis du BDSM, pour offrir en fait un mec toxique. Enfin non, excusez-moi : du « mental BDSM ». Sans être particulièrement familière du concept, je reste persuadée que brûler les vêtement de quelqu'un ne rentre dans aucun aspect du BDSM, tout mental puisse-t-il être.
En bref : ça a été la débandade. Les personnages ont perdu leur consistance et changé de personnalité à chaque chapitre, dans une enchaînement de péripéties creuses et mal liées, qui ne visaient qu'à produire des scènes romantico-toxiques de manière plus que foisonnante.
Mais ça, mes amies, ce n'est pas le pire. Le pire, c'est QUE L'HISTOIRE N'EST MÊME PAS FINIE.
L'autrice a arrêté brusquement de poster, après avoir frôlé une révélation importante, et ça fait deux ans que des commentaires désespérés sédimentent à la fin de son dernier chapitre pour demander une suite. Tout ça pour ça ? Zéro scène de sexe ? Même pas un peu de ce bon vieux physical BDSM ? Des déclarations d'amour ? Un dénouement satisfaisant ?
Je reste sur ma faim.
Oui, je sais que je vous avais dit que j'étais déjà déçue et meurtrie par cette fiction, mais le fait est que j'étais déjà trop attachée pour rompre brutalement. Il fallait aller au bout de cette histoire. J'avais encore des rêves et des espoirs. Et surtout, je n'arrivais pas à m'arrêter, j'y pensais trop à chaque fois que j'essayais de tourner la page et de lire quelque chose de décent.
Il a donc fallu que cette romance qui ne me méritait pas me laisse misérablement en plan.
Je pourrais n'en avoir rien à faire, mais je n'y arrive pas. Elle me manque, j'y pense encore, et je suis toujours un peu dans le déni. Et si j'allais sur le Patreon de l'autrice, il paraît qu'il y a plus de chapitres, postés en preview ? Je pourrais peut-être relire le début, pour me rappeler les délicieux sentiments qu'il m'a offert ? Ou aller consulter plusieurs fois dans la même journée le profil de l'autrice en espérant qu'elle resurgisse soudainement pour finir de poster et panser mes plaies (oui, j'ai vraiment fait ça, non, elle n'est pas revenue parce que je l'ai désiré très fort).
Vous savez donc où j'en suis. Doublement frustrée par une histoire que j'ai à la fois détesté et adoré et qui refuse de se terminer. Même en lisant d'autres choses, je ressens un petit pincement au cœur parce que ce n'est pas elle. Cette histoire m'a envahi l'esprit comme un ex toxique.
Il fallait que je partage ça avec le monde, et si quelqu'un ici a les compétences pour cela, j'apprécierai qu'on rédige une tragédie en alexandrins sur ma terrible désillusion. En cinq actes, de préférence.
***
Image d'illustration : Phèdre, par Alexandre Cabanel
(Ouais, ça se prend au sérieux ici)

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Râleries Quotidiennes
Kurgu OlmayanJ'aime beaucoup trop râler pour mon propre bien. Autant en faire profiter le monde d'une manière constructive. L'avantage de ce livre, c'est que vous pouvez tout fermer à l'instant où vous en avez marre (scénario hautement probable, je préfère vous...