o3 : une nuit dans le jardin d'Eden

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CRYSTAL

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CRYSTAL.


Je pourrais admirer mon reflet pendant des heures, malgré l'étrange dissociation qui prend n'importe qui après un trop long tête-à-tête avec soi-même. Je savoure presque cette impression de flotter hors de mon corps, une impression qui peint sur les murs de mon esprit la tendre image d'une âme émancipée de ses tourments terrestres. Je suis prisonnière de ma vanité, mais libérée dans ces mêmes termes. Un autre paradoxe dans un monde où le paradis et l'enfer n'en sont pas un.

Cependant, je ne suis pas libre ce soir.

Voyez-vous, je ne peux distinguer mon reflet, dans l'exquis miroir de la salle de bain attenante de ma tout aussi exquise chambrette. Je suis maintes fois passée devant la vitre glacée, mais mon image que je couve tant ne se matérialise pas au-dessus du robinet en forme de cygne. Pourtant, la faïence du mur derrière moi y est, tout comme la baignoire au bord de laquelle je me tiens.

Où suis-je donc passée ?

Serais-je morte ? Cela serait une malheureuse déception, puisque je ne ressens rien du grand vide intérieur que j'appréhende pieusement depuis des lustres.

Aurais-je été assassinée ? Si oui, par qui ?

Je considère naturellement le garçon de la serre, et souris devant la perspective d'être un spectre vindicatif sur ses talons, pour l'éternité. Mais il se pourrait que le gentilhomme n'ait pas exagéré quand il a assuré être incapable de faire mal à une mouche. Il est d'une sympathie mémorable et une agréable compagnie, tout ouïe aux yeux grands comme des soucoupes au moindre vague émerveillement. Nous avons passé la soirée à rire à s'en tordre les côtes, à débattre cinéma, poésie et musique. Il a passé un certain moment à me décrire ce film à l'intrigue incestueuse et au fabuleux esthétisme qu'il disait être tout à fait à mon goût, tandis que je me réservais une troisième portion de ratatouille (« The fondue or the ratatouille ? ̸ Which is which ? »). Maintenant que j'y repense, je me suis rassasiée ; en plus d'être un chaleureux hôte, c'est un talentueux chef, je l'admets. Malgré le fait que je possède un appétit grandiose capable de se contenter du plus médiocre, je sais distinguer la bonne cuisine de la mauvaise, et mes papilles gustatives sont amplement satisfaites. J'ai encore le goût de son thé au jasmin sur la langue, et je me souviens m'être brûlée le bout des lèvres lorsque je les ai trempés dans la tasse fumante, et du vent qui a aussitôt éparpiller les vestiges de la vapeur parfumée qui en émanait — parce qu'il faut préciser que nous avons siroté la douce concoction sur le solide toit de la serre (il y avait un frêle escalier en colimaçon au centre la serre qui menait au sommet de celle-ci). Alors que l'inconnu allumait ma cigarette, je contemplais sagement le crépuscule d'un rouge profond (« je restais profondément enraciné dans ce paradis de mon choix, paradis dont les cieux avaient peut-être la couleur des flammes de l'enfer, mais paradis quand même »), la mince ligne lumineuse dans les tons orangé derrière la cime des arbres, elle-même surplombée par de lourds nuages assombris par la nuit. Quand je rumine ces instants, je regrette de ne pas avoir demandé son nom, je regrette de ne pas avoir cherché à en savoir plus sur lui, comme je suis déçue qu'il n'ait pas cherché à en savoir plus sur moi. Moi qui avais prévu des dizaines de réponses cryptées qui auraient dissout son regard poli et former des plis au coin de ses sourcils, me voilà déconfite. Une chose est pourtant sûre, c'est un gentil garçon, et moi, une mauvaise fille. Bien évidemment que nous nous sommes amusés comme des fous. Après quoi, il m'a gentiment escorté à mon dortoir, vers dix heures du soir, en un seul morceau.

DREAMS HOLLOWOù les histoires vivent. Découvrez maintenant