CRYSTAL.Quoi de mieux que de se réveiller en Enfer au côté d'un ange.
La lumière aveuglante d'un matin sans neige et sans supplice déchire mon champ de vision, me rappelant cruellement que septembre vient de naître, traînant de son cordon ombilical les quelques jours de fournaises qu'août n'a pas pu purger. L'infirmerie est pourtant froide et sans remords, une mère dans les eaux trouble de la désolation et de la douleur, accueillant d'une main hypocrite les rayons orangés et flatteur de soleil. L'aube rouge est morte il y a quelques heures, le goût ferreux dans ma bouche se traînant encore le long de ma gorge.
J'ai soif; il porte à mes lèvres un verre que je refuse.
Je ne veux pas une dette de plus envers lui.
À vrai dire, je préférerais qu'il me dénonce aux yeux de tous, qu'il fasse de moi une sorcière sur un lit de paille, qu'il fixe mes poignées au-dessus de ma tête, qu'il me ligote et me jette au cœur des flammes. Je ne veux pas de sa miséricorde. Je suis trop fière pour voler avec grâce, la tête trop lourde et les ailes trop lâches. Le soleil trop éblouissant, le feu ardent à la perfection. Une partie de moi croit naïvement en son bon sens, croit réellement que la nuit dernière n'est que le commencement de mon éternelle damnation. Mais ce n'est qu'une mortelle illusion, un papillon dans une bourrasque.
Ceci ne va pas être le récit d'une descente en Enfer. Ceci est l'humanité à son sommet, l'humanité toujours cloîtrée dans le jardin d'Éden, le péché originel pendant toujours d'une branche quelconque, un baiser interdit, suspendu à la vue de tous. Le brouillard cotonneux d'une fausse pureté foudroyée par les éclats d'une soudaine malice, voilà le grondement que je sens naître dans mes os. L'art se meurt, les yeux s'ouvrent, les langues pendent et les cœurs s'offrent à tous et à chacun. Le monde s'étend, vrombit sous mon corps lorsque je me couche sur le dos, lorsque je repense à la chapelle en feu, lorsque je rencontre ses yeux verts et francs pour la première fois.
Et le minuscule rond cramoisi sur le col de son t-shirt.
La chute est imminente.
— Comment tu t'appelles ?
La question est si étrange, si jeune. Elle s'étend comme une tache de sang entre nous, marquant à jamais l'univers vierge des baldaquins autour de mon lit. Ma langue est pâteuse et mes cheveux envahissent mes sens. Je me frotte les yeux et lui rend son regard scrutateur. C'est la première fois que l'on se parle sans masque. Je sens un faible rire me secouer alors que je me redresse sur les coudes.
— Tu le sais, comme je sais que tu t'appelles Aaron.
Il sourit, visiblement flatté.
— Crystal, alors ?
Mon nom dans sa bouche devient un mauvais présage, me réduit étrangement à une pierre lisse et étincelante qu'il roule entre ses doigts. Mes sourcils se froncent instinctivement et ma main se porte à la croix à mon cou.
Son expression réjouie s'éteint, mais ses paupières gardent leur nonchalance, m'indiquant qu'il n'a pas l'ombre d'un doute de ce qu'il va faire.
— Longue nuit ? demande-t-il en jouant avec un bout de mon drap, son regard évitant le mien.
— D'atroces cauchemars, je réponds, du tac au tac.
— On peut pas faire de cauchemar dans une chapelle, raille-t-il, l'air de rien.
— On en fait où que ce soit, même après la mort. Même au paradis.
Il a l'audace de rouler des yeux.
— Oh, vraiment ? De quoi rêvent-ils, là-haut ?
— De l'Enfer, déclaré-je.
C'est évident.
— Et les gens en l'enfer rêvent du paradis, c'est ça ? tente-t-il.
Ses yeux se portent de nouveau sur moi, mais pas en moi. Je me redresse pour être au même niveau que lui. Le halo de lumière dorée diffusée derrière lui et les rideaux fermés, un cocon dans l'antre froid des antiseptiques et des toux incessantes, ses cheveux ébouriffés et l'ombre violacée du manque de sommeil sous les yeux— il est parfaitement à sa place, installé au bout de mon lit.
— Non, ils rêvent aussi de l'Enfer.
Je ramène mes genoux vers moi pour y poser mon menton, créant une barrière entre mon cœur et le sien et les rumeurs furtives que l'on y cultive mutuellement.
— Et ils se réveillent en enfer, terminé-je.
— Et toi, où t'es-tu réveillée ? s'enquit-il après un court silence.
— À toi de me dire.
Le poids de son attention, la chaleur chimérique qui radie de sa main glissant sur mon avant-bras, son pouce et la bague en argent qui l'entoure, l'étincelle passagère d'un mot ravalé et des aveux qui reposent au bord de ses lèvres entrouvertes. Je me demande s'il sent ses ailes se défaire sous mes cruelles intentions, s'il sent mes pensées effleurer sa mâchoire qu'il fait grincer. Une brise remue les baldaquins et s'invite entre nous, mêlant mon odeur incendiaire à son parfum boisé.
Il secoue la tête, les derniers souvenirs d'un meurtre s'éparpillant sur les draps. Son expression est déstabilisante, posée, me défiant presque.
— Tout est dans l'ordre, tu sais, déclare-t-il simplement.
Il prend ma main et la serre dans la sienne. Le métal de sa bague me brûle presque et sa paume est douce. L'accord qui est passé ne fait pas de doute. Je vais devoir traîner le monde et son entièreté dans ma descente. Son sourire et sa canine ébréchée m'indiquent que c'est tout ce dont il a toujours rêvé.
— N'en parlant pas.
Je ne brise pas mon mutisme. Je creuse plutôt son torse du regard, presse son cou avec toute la force que je ne possède pas, et disparais dans le creux brûlant qu'il m'offre lorsqu'il m'embrasse la joue, les paupières closes, la bouche attendant son tour, l'esprit suspendu entre ici et les jours qui sommeillent entre nous.
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DREAMS HOLLOW
ParanormalLorsque l'argent fait tourner le monde à l'envers, des êtres sans scrupules et maniaques accumulent les millions comme un pendule antique accumule la poussière, des enfants perdent leurs innocences dans la plus funeste des vilenies, et la mort se po...