𓆩♡𓆪EXTRAIT DE LETTRES
QUE JE NE N'AI
JAMAIS ENVOYÉES𓆩♡𓆪
POUR JUNIPER
Je ne me suis pas relue la dernière fois. Désolée pour les fautes et les larmes, les e en trop et les auréoles d'encre.
Je t'écris, car cette nuit, je n'ai pas rêvé de toi.
L'eau salée, les larmes du soir, le lever de soleil que l'on ne voulait jamais voir, le beau temps avant la pluie, les rires et les minuits, par millions, par milliers. La lavande dans tes cheveux soyeux et le sable parsemant les miens. Les derniers souffles, les derniers jours, mes dernières vies. La tête sous l'eau, plongée dans un rêve sourd et libre, juvénile et réel. Mes yeux plein d'eau, et les tiens, plein de buée. Voilà ce qui est imprimé sur mes paupières, ce qui joue et rejoue entre mes lèvres scellées. C'est pire que d'être un spectre. C'est être enterrée vivante. Tu es ma tombe ; froide et sans issue, une boîte à musique creuse aux mille échos.
Cette nuit, pourtant, j'ai vu autre chose.
Le sable était éblouissant et brûlant, des milliards d'éclats de verre chauffé à blanc craquant sous mes pas. La lumière, celle d'un ange, celle de l'enfer, déchirant ma rétine, déchirant le monde en une unique toile blanche. Irréel, onirique, aucune ombre dans mon champ de vision. Des plaines de diamants aux couleurs kaléidoscopiques : l'azur et le rose, un vert doux comme la mer du matin et un violet malicieux, comme le reflet dans tes cheveux. De la sueur coulait le long de mon dos, et quelque chose de plus riche, le long de mon nez. Du sang, j'avais constaté, sur ma paume blanche. Mon front ne me faisait pas souffrir, mais une pierre lisse et froide y était incrustée comme une balle. Je ne pouvais pas la voir, mais je pouvais l'imaginer ; un quartz rose, rougi par le sang, par la vie.
Ce que je portais ? Un indice : c'était dans ma couleur préférée. C'est tout. Une espèce de robe, comme si on m'avait roulé dans un linceul rose pâle comme l'aube. J'avais pour bretelles deux serpents qui enlaçaient ma taille avant de pendre à mes épaules. Leurs écailles, comme des perles, déployaient un halo coloré, une vision éthérée parmi tant d'autres.
Je marchais, le souffle de l'apocalypse rejoignant mes pas, fouettant mon visage de son haleine tiède, et le sang sur mon visage, de la rosée sur mes lèvres que j'accueillais sans réfléchir.
Je ne crois pas avoir pensé une seule seconde, pas avant que l'oasis ne se fût révélée à moi. Un lac en forme de cœur, érubescent, un rubis sous l'œil du jour, cerné de saules pleureurs, une seule figure à sa rive. Couchée sur le ventre, le bas de son corps perdu dans l'eau trouble, un dos ivoire palpitant sous la blancheur du monde, le néant d'une galaxie sans ténèbres. Des ailes vierges y étaient plantées, surdimensionnées, leurs duvets balayés comme des pétales de rose dans les ondes de chaleurs. La courbe de sa nuque, son crâne enterré dans le sable. Un pont, m'avait susurré un serpent sur mon épaule, avant de desserrer ma taille, de déserter ma robe. L'autre avait fait de même, s'enroulant autour de ma cheville, contemplant la flaque vaporeuse qu'était devenu mon habit. Un pied s'en secoua, et l'autre suivit, en direction du pont. La chair douce, la lueur qui en émanait, le relief discret qui se tendait sous mon talon, furtif, inoubliable, à chaque pas, les ailes frémissant contre mes jambes. Puis, je plongeais et nageais plus loin lorsque sa tête surgit alors, secouant les pierres de sa chevelure. Je ne voulais pas voir son visage. Je me doutais de ses traits.
L'étrange légèreté des eaux poisseuses et le goût ferreux coulant dans ma gorge, le vent brutal contre ma peau couverte de ce sirop maudit. Je nageais la bouche ouverte, les yeux fermées, mon âme déliée comme ma langue, dansant hors de mon corps vers le ciel. De là, j'avais une vue d'ensemble sur l'oasis et, pour la première fois, je vis le corps d'un ange, un véritable ange crucifié, cloué à l'un des saules. Une chevelure de jais et une peau plus olivâtre que la mienne, comme la tienne. La poitrine ouverte, pas de cœur en vue, tandis que le mien battait deux fois plus fort.
Ça t'amuse de mourir là où je te garde en vie ? Dans l'antre des désirs et des songes les plus confus, tu demeures introuvable. Parfois, intangible dans les fragments d'un souvenir lointain, parfois tangible mais distante comme le matin. Pour une fois, j'aurais préféré que tu me mentes, que tu me craches au visage, juste pour voir ton corps bourdonner sous ton souffle, sous toute l'ampleur de ta colère, de ta vie.
Pourquoi m'as-tu donc visité sous cette forme ? Je suis celle qui est morte, souviens-toi. Reviens-moi. Ne sois pas qu'un frémissement de draps lointains, une voix morne et flottante dans la radio, une tache de confiture sur ma robe préférée que je ne peux pas laver. Sois une brûlure, une plaie béante, une piqûre mortelle. Sois la seule chose à laquelle je puisse penser, quand je prie à genoux et quand je me baigne.
Lacère-moi l'intérieur, et je me rattacherai à l'idée que tu es au plus profond de moi. Coupe-moi la langue, et mes éloges seront plus que de simples mots. Regarde-moi, et je me pendrai, car je sais qu'à tes yeux, rien n'est impardonnable.
Regarde-moi.
Regarde-moi quand je songe à toi.
xx,
Crystal.
VOUS LISEZ
DREAMS HOLLOW
ParanormalLorsque l'argent fait tourner le monde à l'envers, des êtres sans scrupules et maniaques accumulent les millions comme un pendule antique accumule la poussière, des enfants perdent leurs innocences dans la plus funeste des vilenies, et la mort se po...