CRYSTAL.Je me rappelle avoir pensé que Dieu avait déserté Sa demeure à l'heure où je la pénétrais. Mais lorsque fût temps de la quitter, j'aurais pu jurer avec une sérénité presque démente que jamais l'ombre divine ne s'était étendue sur la chapelle auparavant, pas même lors des canicules de début août, lorsque les diablotins les plus coriaces faisaient onduler l'atmosphère sous leurs rires invisibles. Je revois encore le mirage d'une ribambelle d'anges, leurs ailes en parchemin qui s'enflammaient au contact des raies de lumières les plus aveuglants, un kaléidoscope infernale offert par les vitraux aux fenêtres, les écailles d'un serpent érubescent voletant dans mon champ de vision comme de la cendre.
Mes mains m'étaient d'une lourdeur insoutenable, une douleur vive pulsant sous mes ongles comme un cœur sur le point de lâcher, et mes jambes fondaient l'une dans l'autre, entortillées dans le linceul qu'était ma tenue gorgée d'eau glacée. Mais il me fallait prier à tout prix. Alors, j'ai rampé entre les rangs hantés par des prières trop vite murmurées, l'haleine moite comme la mi-juillet sous laquelle les requêtes étaient libérées peignant les murs de moisissures. J'ai rampé vers l'estrade, vers ce que je croyais être l'astre au bout du tunnel, qui s'est révélé n'être que les prunelles chatoyantes des cerbères La confusion avait une odeur d'encens épicé roulé dans l'élasticité pâteuse que seule la déception pourrait jeter sur un individu. Haletante et dégoulinante, je sentais ma peau se liquéfier comme de la cire sur la flamme de mon âme agitée lorsque mes doigts bourdonnants cherchaient le papier peint du mur hanté par la silhouette d'un crucifix déchu. La liturgie mélodique qui pulsait sous mes espoirs de rédemption n'était plus que le lourd grognement d'un orgue sinistre entre mes tempes. Sous les denses profanités que l'obscurité faisait planer sur mes épaules, je tentais misérablement de ravaler ma panique, mais ma gorge, toujours obstruée par les cris que la nuit refusait de me laisser émettre, ne me l'a pas permis.
En quête de réconfort désespéré, j'ai laissé l'une de mes mains tâter mes clavicules à la recherche de ma croix pattée, le fait qu'elle pendait au-dessus d'un cadavre quelques instants plus tôt réduisant à néants mes intentions. La paume tendue que je guettais, la page blanche à laquelle je rêvais, le ventre concave d'une réplique du Christ que j'enviais ; barrées par une prose écarlate. Dans l'aube sanglante qui changeait mes larmes en sang, tourbillonnaient une infinité de lettres, de vers, de phrases hachées, et une question, une question qui brillait sur le mur, griffonnée à la craie, peut-être par un poète, aussi bienvenu dans cette chapelle que les démons qui l'habitent, que les démons qui y prient, qui s'y lavent les mains avant de les essuyer sur les croyants les plus naïfs. Dans un paradis où le serpent corrompt le saint, comment discerner l'un de l'autre ? J'ai ri tellement c'était mauvais, un écho aigre entre mes entrailles, l'épuisement suçant ma sanité comme sur un bonbon à la fraise, me vidant peu à peu de tout ce qui me rendait fière ; de ma sérénité glaciale, de ma foi, de cette limite infranchissable qui séparait mon cœur de mon âme, de ma conscience et de mes mains frêles. Dans l'air glacé et brûlant du matin, frais et bien vivant, tout me paraissait trop accentué, trop net, trop réel, trop brusque. Le sol en ciment nu dur contre la plante de mes pieds meurtris, le sang encore moite — pourtant absent à l'œil — qui couvraient (couvrent ?) mes mains comme une couche de sirop, l'enveloppe de sueur et d'eau glacé qui me tenait prisonnière, ma gorge mutilée vrombissant sous la tension gluante qui me suffoquait, les murmures du diable dans les frêles bougies, le sang que déversait le soleil à travers mes cils, le cliquetis d'une horloge lointaine, la sensation dégoûtante et enivrante de sceller une affaire, un secret, à l'aide d'un pacte de sang, d'un échange de salive. L'enfer me léchait les chevilles, ses profondeurs vrombissant sous mon corps au rythme des poèmes clamés dans le sous-sol de la chapelle, des crocs se saisissaient de la vile essence qui fait valser mon ombre sur les quatre murs qui me cernent.
Que Dieu me pardonne les péchés que je n'ai jamais commis, ceux de la chair et du sang, ceux de Cyrène et de Satan, ai-je encore lu, avant de m'effondrer sur le banc le plus proche. Je me rappelle avoir pensé que cette ligne était bien. Puis, je me suis assoupie en sachant que j'avais tué quelqu'un, que j'avais joué Dieu, ou plutôt, imiter Dieu, et que maintenant, j'en payais le prix. Je ne me souviens pas de mon réveil, seulement d'avoir basculé de l'Érèbe à la réalité pendant quelques instants, de l'étrange légèreté onirique à la subite lourdeur de la conscience. Une ombre tangible, trop dense, trop chaude, planant sur mon être, l'éclat argenté d'un chapelet serti de rubis chatoyant devant mes prunelles alors que la chapelle se dérobait sous moi, alors que tout et rien à la fois formaient l'œil d'un cyclone pourpre. On m'a ainsi tiré de la chapelle en feu.
Me voilà donc dans un monde dénaturé, d'une blancheur effroyable, trop pur pour être sinistre, trop peu pour être angélique. Néanmoins, le lit aux draps frais sur lequel je gis atténue mes envies de violences, et permet à mes membres endoloris de souffler l'ardeur qui les taraudent comme les sifflements de la mauvaise foi taraudent les âmes. Cependant, je n'aime pas la brume compacte que déploie l'infirmerie dans mon esprit, cette soudaine aisance hypocrite, cette main munie d'une brosse qui s'affaire à peindre un voile d'un gris translucide sur ma souffrance, ma peur, ce second cœur infernal qui pompait l'amertume saline du remords, la grandeur acide de la panique. Cette nuit a été longue, certes, et je troquerais bien son souvenir pour une autre. Toutefois, aussi terrible, aussi dégoutant, aussi égoïste que cela soit, je n'arrive pas à contenir l'expression béate qui m'étire les traits. J'ai vécu, vu, été vaincue. Une éternité comprimée en une nuit, l'espoir divin, le purgatoire à peine effleuré. J'avais l'âme en feu comme jamais auparavant, et j'étais plus que certaine d'être en vie. Toute mon existence, ces mois s'étirant en années, ces nuits enlaçant ces jours, à peine effleurés par des rires francs quand on me glissait des pissenlits sous le menton, par des coups-de-poings à la poitrine lorsque l'odeur du feu me réveillait en sueur, par l'ardeur entre mes entrailles lorsqu'on gardait mes lèvres occupées. J'y goûtais si rarement, et quand le destin flanchait sur mes pitoyables envies pour m'en faire grâce, elles se dérobaient entre mes doigts et se logeaient sous mes ongles pour y pourrit, pour me punir. On m'offrait et on me reprenait, et cette nuit, j'ai reçu et j'ai repris. Dans l'obscurité, la transaction a eu l'air presque juste. Dans l'obscurité, le sang et la terre ne formaient plus qu'un.
C'est tordu et malsain, tout sauf inhumain.
Je ne me suis jamais sentie aussi bien.
Cependant, l'infirmier en juge autrement. Une fièvre trop haute, peut-être une pneumonie, des prises de sang çà et là, un doute concernant ma sobriété, une évaluation psychiatrique pour couronner le tout. Une semaine à l'infirmerie, tout au plus.
Peu importe, j'ai tout mon temps.
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DREAMS HOLLOW
FantastiqueLorsque l'argent fait tourner le monde à l'envers, des êtres sans scrupules et maniaques accumulent les millions comme un pendule antique accumule la poussière, des enfants perdent leurs innocences dans la plus funeste des vilenies, et la mort se po...