Chapitre 6 : Stretch 4

338 12 6
                                    

Le soleil était à lui seul un remède. Lorenzo avait découvert ses propriétés apaisantes grâce aux sessions d'introspection recommandées par le personnel soignant. Ces thérapies se déroulaient cependant selon le bon vouloir du patient. Sortir afin de profiter du ciel bleu et de toutes les autres sensations visuelles et sonores n'étaient pas toujours un réflexe pour les casaniers. Il avait ainsi appris progressivement à s'asseoir seul sur un banc de ce magnifique parc privé.

Lorenzo fermait alors les yeux pour analyser l'environnement. Ce calme perturbait encore ce rappeur habitué au noir, aux bruits et odeurs peu coutumières mais devait aussi admettre qu'il avait gagné du temps depuis qu'il regardait même plus l'heure comme le rappait Moha du duo MMZ.

Le quotidien de Lorenzo ressemblait maintenant à une vie monacale. Il se soumettait à un règlement strict, c'est-à-dire des heures régulières de levé, un déjeuner servi un quart d'heure plus tard puis un nettoyage de base après la douche. L'un des nombreux spécialistes le recevait ensuite à sa séance quotidienne et Lorenzo était obligé de participer dans la foulée à une activité artistique obligatoire avant le repas. Aucun des patients n'aimait ce rassemblement mais tous réalisaient cet effort afin de profiter d'un semblant de liberté l'après-midi. Chacun disposait de quelques heures pour écrire, lire, jouer, écouter de la musique et les visites permettaient la transition avec le début de soirée. Cette convalescence et résilience demeuraient des actes inédits pour lui, même si Giovanna venait un jour sur deux.

Lorenzo avait découvert de Giovanna lors de leur dernier entretien qu'elle possédait des connaissances précises sur le basket-ball. Pas tout le monde ne savait en effet que le stretch 4 était un joueur spécifique dans ce sport. Il se laissait, s'abandonnait sous les paroles de cette femme qui refusait encore à dévoiler l'identité de la personne dont elle n'avait jamais accepté l'overdose.

Lorenzo pensait à cette face cachée de Giovanna pendant qu'il l'attendait. Il appréciait le contact du vent sur ses bras et regarda ses tatouages. Le blanc de son T-shirt était impeccable depuis que Giovanna apportait ses vêtements au pressing. Ce geste le dérangeait un peu au début parce qu'il ne voulait pas être un fardeau pour quelqu'un, surtout une femme familière à son indépendance. Il avait donc pensé à lui envoyer des fleurs. Blanches naturellement, des arômes et gypsophiles. Sans mot mais cette fois était la première où elle en recevait.

Giovanna était effectivement arrivée un jour avec une des branches de la plante coincée dans ses cheveux. Le noir corbeau de sa chevelure et l'autre couleur contradictoirement opposée formaient en réalité un mélange et un résultat surprenant puisque inverse mais lié. Elle s'habillait toujours chaudement et le poêle restait son lieu de rendez-vous favori dans la salle commune. Giovanna calait son dos à une trentaine de centimètres du foyer brûlant devant les expressions ébahies du personnel que celles des patients.

« À quoi penses-tu Lorenzo ? ». Giovanna interrompit Lorenzo dans ses réflexions. Plongé dans ses réflexions, il se demandait notamment la façon par laquelle il pouvait aborder la question sensible. Cette interrogation tournait en boucle dans sa tête telle une obsession avec cette incertitude horrible que Giovanna lui cachait un détail.

« Comment tu connais cet établissement ? ». Jambes allongées, mains dans les poches de son sweat et capuche rabattue sur sa casquette, Lorenzo n'était plus capable d'attendre le bon vouloir des personnes qu'il fréquentait à vouloir se confesser. Il exigeait presque de Giovanna qu'elle avoue tout.

« Osirus et Zuukou m'avaient prévenus que tu n'abandonnais aucun de tes objectifs. », dit Giovanna qui ouvrit son sac en même temps que de surveiller les alentours se révélant déserts. Elle saisit son paquet de cigarettes, en porta une entre ses lèvres pulpeuses et l'alluma de ce geste connu par les consommateurs réguliers. Elle recracha une longue bouffée, sembla aussi se perdre dans ses souvenirs et... « J'y ai séjourné à ma demande il y a déjà quelques années. J'ai préféré cette solution plutôt que l'hôpital psychiatrique. ». Lorenzo sentit immédiatement la plupart des muscles se crisper. Il ferma les yeux et attendit la suite, désolé comme quelqu'un ayant été trop intrusif. « J'avais une vie parfaite Lorenzo. Un mari, une maison et un quotidien que je croyais paisible jusqu'à ce que je sois victime d'une fausse-couche... À cause d'un comprimé blanc de méthamphétamine. ». Giovanna semblait réciter un texte en se persuadant qu'elle ne ressentait plus rien face à cette histoire. Cela restait en vérité tout le contraire. Elle souffrait et d'une amertume incomparable à cause d'un acte qu'elle ne pardonnerait pas. Lorenzo se sentait triste pour elle, presque honteux et démuni. « De quelle façon aurais-je pu savoir que cette saloperie avait volontairement été insérée dans une boîte de paracétamol ? L'homme avec lequel je vivais et en qui j'avais placé ma confiance était un drogué. ».

Lorenzo voulut disparaître du malaise qu'il avait crée, bien que la curiosité étant un vilain défaut, elle resterait quand même bénéfique lorsqu'il s'agissait de comprendre l'autre.

« J'étais enceinte d'un conjoint dont j'ignorais l'existence de sa consommation. Ce bébé était attendu et je ne comprendrai jamais la raison pour laquelle il a laissé traîné ce poison. Il n'a pas nié devant la police alors que cette dernière commençait à m'accuser. J'ai ainsi décidé de divorcer, vendre la maison et m'éloigner de ce... type d'individu osant t'incriminer de leur malheur. Je devais arrêter. », Giovanna dicta ces paroles d'une tonalité froide que Lorenzo ne lui connaissait pas mais dont il était assez courageux pour continuer dans ces déclarations certes douloureuses mais bénéfiques.

Les mots étaient de ce fait les seules armes cathartique que Giovanna et Lorenzo possédaient.

« Pourquoi ? ». Lorenzo insistait car savait que la parole était libératrice. Giovanna et lui enduraient des épreuves quasi inhumaines : se détruire ou perdre un être aimé ne figuraient pas dans la logique des événements de la vie.

« Mon avis à propos de la dépression est très sec Lorenzo. Je ne pense pas que s'en diagnostiquer une à chaque calamité soit bénéfique. Certes chacun peut se sentir mal mais se complaire dans cette excuse n'est pas le bon plan. L'Homme est conçu afin de trouver n'importe quelle solution. Ce processus de guérison par la thérapie aide à la résilience. Je pense également que chaque victoire se vit dans la pudeur. L'action de se proclamer survivant me gêne parce que tout le monde a survécu à un traumatisme. Pourquoi le crier sur les toits ? ». Personne n'aurait la capacité d'ôter le sens de la franchise à Giovanna. Le jugement des autres était sa dernière priorité, de même que sa tolérance limitée pour certains sujets. « Il veut quoi lui ? », cracha-t-elle presque à un patient fixant le mégot qu'elle écrasait. Elle était agacée et son exaspération décupla lorsque le médecin qui suivait son malade lui demanda d'un ton sec de le suivre pour l'accompagner jusqu'à la sortie. Elle hocha alors des épaules mais en profita pour chuchoter à l'oreille de Lorenzo : « Ce contexte dans lequel certaines personnes se sentent dévaluées me rebute tellement. Cette fausse autorité qu'ils essayent en plus d'appliquer m'est insupportable. Comment veux-tu que je réussisse après à les juger autre que de pauvres petits imbéciles fragiles ? Ce complexe est tellement gênant, je te jure que j'ai limite envie de leur dire Crois en tes rêves. ».

Ce qui nous lie - Freeze CorleoneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant