Chapitre 14 : Dans les buissons

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Lorenzo se réveilla. Il manquait d'air et sa peau confirmait son ressenti par la sueur suintante de ses pores. Il ne réfléchit même pas alors d'ouvrir la fenêtre, mais aucun air ne s'engouffra malheureusement dans la petite pièce. Sa bouche avait besoin d'une boisson désaltérante, mais Giovanna devait dormir sur le canapé dépliable. Lorenzo marcha donc jusqu'à la salle de bain, jusqu'à ce qu'il voie que la porte du salon était entrouverte.

Giovanna fumait sur le balcon.

« J'ai vu quelque chose bouger dans les buissons. ». L'ouïe de Giovanna était développée, comme environ la plupart de ses sens. Lorenzo la regarda : elle était vêtue d'un peignoir court en soie. Cette vision était exceptionnelle, surtout parce que Lorenzo ne s'était pas encore attardé sur la beauté des courbes de cette femme. Il reconnaissait sa poitrine généreuse, ses formes en chair... Une déesse des temps modernes. Lorenzo reconnut soudainement Béatrice Dalle en Giovanna, anticonformiste, insoumise et libre. « Puis j'ai reconnu des yeux de chat. Je déteste les réactions imprévisibles de ces bêtes. ». Giovanna inspira une dernière bouffée sur sa cigarette, éteignit le mégot en l'écrasant et se tourna vers Lorenzo qui retirait son T-shirt blanc. Il ne voulait plus se cacher avec elle en étant désormais prêt à tout assumer.

Lorenzo était beau et Giovanna appréciait sa peau métisse tatouée. Il ferma un instant ses paupières, car se sentait en confiance, mais les ré-ouvrit lorsqu'il trouva enfin l'activité la plus sensuelle à réaliser avec elle.

Le plateau d'échecs était plié sur le piano et Lorenzo ne dut s'avancer que de cinq pas pour le saisir. Elle ne rechigna pas.

Lorenzo comprit qu'ils joueraient leur résistance mentale quand elle s'assit en face de lui. « Yin ou yang ? », demanda-t-il pendant qu'il lui présentait ses poings.

Giovanna savait que Lorenzo connaissait forcément les significations de ces complémentarités inséparables mais opposées, et décida donc d'engager la partie : « Le ciel, l'automne, l'hiver, la nuit, une petite principauté, un pays puissant, un homme occupé, ce qui s'étend, le souverain, le supérieur, la femme, le fils, l'aîné, les plus jeunes, les roturiers, la réussite, le deuil, régenter, l'occupant, le maître, le silence et donner. La reine protège son roi en prenant l'autre lors de l'échec et mat. ».

Lorenzo comprit que Giovanna était cette femme que son inconscient cherchait depuis si longtemps. Elle était docile, résiliente, tolérante... Sauf lorsque l'un de ses adversaires approchait de trop près cet homme dont elle ressentait des sentiments puissants. Il visualisa pour la première fois son attache.

Giovanna joua l'ouverture italienne et Lorenzo la contra dès le troisième coup. Il commença pourtant à sentir la sensation de moiteur sur son torse, malgré son T-shirt calé sur son épaule gauche. Il réajusta ensuite son durag noir, ses lunettes transparentes aux verres carrées, feinta de regarder sa montre et roula son tabac. Elle était plus concentrée sur le caleçon qu'il portait, sa ceinture marron d'une maison de couture et... : « Tu devrais savoir que je m'endors souvent habillé. », bougonna-t-il.

Giovanna releva son regard mais ne répondit pas à Lorenzo : elle choisit tout simplement une expression qui le déstabilisa. Reconnaissait-il vraiment un désir ? Il essaya de garder son impassibilité habituelle, en étant lui-même pas du tout convaincu de sa stratégie. Giovanna bougea et il put entrapercevoir un joli soutien-gorge assorti à la teinte améthyste de sa bague : « Sur le plateau Lorenzo. ».

Une sensation aussi surprenante qu'agréable se réveillait le bas-ventre de Lorenzo à chaque fois que Giovanna prononçait son deuxième prénom. Elle ne l'avait jamais appelé Issa, comme si une première analyse physique confirmait inévitablement une première impression.

Le docteur Jekyll du mister Hyde, Giovanna ne côtoyait en réalité que les personnes qui analysaient son côté obscur. Il aurait voulu lui avouer à ce moment que... Tant d'arguments se bousculaient dans la tête du rappeur. Il pensa à ses aventures sans lendemain, et à toutes les expériences qui le constituaient : la destruction de son corps et esprit, dans l'unique but d'écrire un album par la lourde, collante et pesante fumée des joints et les gorgées de lean.

Giovanna bougea un simple pion et n'attendit même pas une seconde la réponse de Lorenzo. Ses pectoraux et ses biceps se gonflèrent, et ils s'engagèrent enfin dans cette bataille perdue d'avance, celle de l'attirance physique. Ils vivaient cette tension sexuelle avec cette caractéristique commune de ces amants qui se retrouvent sans penser aux conséquences de leurs actes.

Lorenzo ne pouvait penser qu'à la seule femme qui se désaltérait devant lui. La bouche et les lèvres de Giovanna lui semblèrent bien différentes de celles qu'il avait toujours observées. Une goutte, d'une fatalité hasardeuse, coula lentement dans son cou puis dans le creux de sa poitrine. Elle ne dit rien, n'attendant rien de lui. Pas de l'affection, encore moins de l'amour, peut-être des yeux assoiffés de concupiscence et passion. Qui des deux engagea la fin de la partie ?

Ce qui nous lie - Freeze CorleoneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant