La tempête emmitoufle d'une épaisse couche de neige la maison Orch. Tout autour le paysage s'efface, noyé dans le blanc sombre des flocons. Le vent souffle et gémit en faisant craquer les branches des arbres et les ardoises du toit. L'hiver est prêt à dévorer le moindre inconscient qui se risquerait au-dehors.
Dans ce recoin sauvage du comté de la Narche, la tradition veut que chaque maison installe à ses coins visibles des veilleuses qui brûleront toute la nuit pour attirer en lieu sûr ceux qui seraient coincés par la neige. Dans cette tourmente, les veilleuses de la maison ne se voient pas à plus de dix mètres. Elles ont pourtant été soigneusement remplies d'huile et allumées à la nuit tombée. Le seul homme de la maison n'a encore que huit ans, et s'il a légalement l'âge d'avoir la responsabilité de ses sœurs, tout le village sait que ce sont les femmes qui ont l'autorité dans cette maison. Ils s'attendent donc à tout voir partir à la dérive.
Une raison plus que suffisante, selon les sœurs Orch, de veiller à ce qu'aucun détail ne permette aux langues de vipère de trouver quoi que ce soit à redire. Les médisances vont bon train contre elles depuis que Kayel, le fils ainé de la maison, a tué son beau-frère et son père avant de fuir le village. Mais les médisances ne leur font pas peur. Tout ce qu'elles veulent, c'est qu'on se décide enfin à les laisser tranquilles. Elles apprécient la tempête qui les sépare pour un temps des autres villageois. Plus besoin de faire soumissions à des codes sociaux hypocrites. Oh, elles savent bien que le vent abime le toit et qu'il leur sera difficile de réparer. Mais depuis le temps – presque un an, déjà – qu'elles doivent se débrouiller seules, ce genre de défi ne leur fait plus peur.
Pourtant, malgré la neige protectrice, quelqu'un vient rompre leur tranquillité et frappe à la porte.
A l'intérieur, les quatre sœurs les plus âgées sont encore en train de coudre à la lueur du feu. Elles se regardent et hésitent en silence. Quelqu'un qui viendrait à cette heure-ci, sous la neige, ça ne peut être qu'une mauvaise rencontre... ou Kayel. Leur frère est toujours recherché pour meurtre, elles ne peuvent pas avoir de nouvelles de lui qu'elles le voudraient et ignorent même s'il est vivant ou mort. A présent, la tempête lui permettrait d'avoir une excellente couverture pour venir les voir !
Pleine d'espoir, Chétil se précipite vers la porte. Pendant ce temps, plus méfiante, Ellia saisit le tisonnier. La porte s'ouvre sur une mince silhouette emmitouflée d'un manteau brun détrempé par la neige.
« L'hospitalité pour un voyageur, demande l'étranger d'une voix sourde.
Déçue, Chétil s'écarte. Ellia et Kassa s'avancent avec autorité pour accueillir ce visiteur inattendu.
_ Entre, voyageur. Et n'ait que de bonnes intentions envers ceux qui t'offrent leur toit.
Dans le redoutable hiver de la Narche, l'hospitalité est une coutume nécessaire à la survie de tous. Mais Kassa prononce la formule rituelle avec méfiance et hostilité. Et Ellia tient fermement le tisonnier. La petite Chétil, déçue, baisse la tête et file chercher de la soupe et du pain à offrir à l'étranger. Nirna va lui préparer un lit. Les deux aînées restent devant le feu et font asseoir le nouveau venu. Elles le débarrassent de son chapeau à large bords, de son épaisse écharpe et de son manteau.
_ Merci, douces demoiselles.
La voix de l'inconnu est sourde mais aiguë. Son sourire et son regard paraissent moqueurs à la lueur des flammes. Son visage serait doux sans le pli amer de sa bouche. Le froid a causé deux plaques rouges sur ses joues nues de toute barbe, il n'était pas loin d'avoir des engelures. Ses mains aussi ont soufferts. Il les approche en tremblant du feu. Ses doigts sont longs et fin, ses ongles taillés, et il est évident qu'il n'a jamais travaillé assez dur pour les abîmer. Sous le manteau, sa silhouette est mince et musclée. Les deux jeunes femmes tressaillent en dévoilant les deux courtes épées croisées dans son dos. Ellia est la première à se reprendre et à dire :
VOUS LISEZ
La bourse ou la vie
FantasyLes premiers pas du jeune Kayel dans la carrière de bandit de grand chemin ne se passent pas exactement comme il l'aurait voulu... Difficile aussi de concilier des rêves de combats épiques et d'or coulant à flot avec une réalité cruelle. Evidemment...