Mécanique

13 7 0
                                    

Toute la journée Kayel ploie sous un torrent d'ordres impérieux, sans la moindre possibilité de retrouver Clama. Il commence à réfléchir à différentes manières d'obtenir de l'aide de quelqu'un d'autre – par la force ou par la ruse – mais rejette rageusement tous ses plans. Il est loin de valoir Tenkar à ce genre de jeux et pense que la couturière a renoncé.

Le soir venu, c'est pourtant elle qui vient à sa rencontre. A voir son expression de colère, elle vient de perdre un fameux combat contre elle-même, mais elle est là. Elle attrape l'adolescent par l'épaule et le pousse sans un mot jusqu'à l'étage des appartements de Joyana – mais cette fois ils prennent l'escalier principal. Puis elle le jette sans ménagement à l'intérieur en lui disant : « Tu as presque une heure, mais fait vite et repart par l'escalier de service.

Les lieux sont parfaitement vides.

‒ Comment vous... ?

‒ Au moment du dîner, il n'y a que là qu'il n'y a personne. C'est tout simple. Comme ton tour de passe-passe avec les fils. Voilà, j'ai payé ma dette, tu es content ?

‒ Je dois aussi aller dans la chambre du comte et celle du duc d'Ambrat.

‒ Là, ce sera sans moi ! Qu'est-ce que tu as l'intention de... non, en fait, je ne veux même pas savoir. Je ne veux plus rien avoir à faire avec toi. Adieu.

‒ Je comprends. Merci. Vous en avez déjà fait beaucoup.

Kayel est tout à fait sérieux lorsqu'il remercie la couturière : tout simple ou pas, le service qu'elle lui rend est inestimable. A lui de se débrouiller pour la suite. Cela suffit pourtant à troubler la femme qui baisse les yeux avec gêne, hésitant à l'abandonner maintenant. Elle finit par partir, mais se retourne brusquement et promet dans un souffle :

‒ Si j'entends quelque chose, je te le dirais. »

Kayel la remercie en soulevant un chapeau imaginaire à la manière des nobles et elle part en riant. Il se sent un peu coupable de l'impliquer dans le plan, mais fier d'avoir réussit à obtenir son aide. Reste l'essentiel : le mécanisme. Il a un peu moins d'une heure, c'est peu pour fouiller tous les objets des différentes pièces. Il s'arrête et réfléchit. Pour commencer, le mécanisme est sans doute caché dans la chambre à coucher. Ensuite... Joyana porte tous les jours de nouveaux bijoux. S'ils étaient rangés dans ses appartements, tout serait fermé à clé. Et pourquoi fermer à clé quand on a sa propre chambre forte ? Le mécanisme est forcément actionné tous les jours. Un endroit accessible. Evident. Qui ne laisse pas de traces.


Dans la chambre, le regard de Kayel passe rapidement sur les murs et les meubles tandis qu'il réfléchit à toute allure. Il recherche une incrustation qui aurait un défaut permettant de l'enlever rapidement, au besoin avec un crochet. Rien. Les bas-reliefs sont impeccables également. Derrière un tableau ou un rideau ? Inutile, les changer de place tous les jours aurait suffit à faire des marques sur le mur. Kayel tourne en rond et commence à toucher à tout avec impatience. Puis il se reprend. Il y a encore un élément dont il n'a pas tenu compte : c'est sans doute Joyana elle-même qui, tous les matins, ouvre le mécanisme. Difficile d'imaginer le comte faisant confiance à un serviteur pour cette tâche ou passant lui-même par les trois chambres tous les matins. Hors la jeune fille est beaucoup plus petite que lui : la serrure doit être facilement accessible pour elle.

Pliant à moitié les genoux, Kayel refait un tour d'horizon tout en tentant de ne pas paniquer. Le temps s'écoule. Mais chercher partout sans méthode ne fera que le ralentir. Où diable un noble tordu pourrait avoir caché l'entrée de son trésor ?

Son regard se pose sur un coffre auquel il n'avait pas tellement prêté attention : le meuble parait bien trop lourd pour que la serrure se cache derrière. Il n'est pourtant pas si grand, juste extrêmement massif, cerclé de fer, posé au pied du lit de la jeune fille, à portée de sa main mais très gênant pour le passage des serviteurs. Parfaitement inutile. Parfaitement évident. Et, comme l'indique un examen plus consciencieux, parfaitement soudé au mur de pierre. Priant pour que la serrure ne soit pas elle aussi protégée par une serrure, Kayel l'ouvre. Et sourit. Le coffre de bois n'a pas de fond et il a bien pour unique fonction de protéger des regards une énorme plaque de fer.

Kayel la soulève pour vérifier qu'elle cache bien la fameuse serrure. C'est tout un système compliqué qu'elle révèle : des pièces métalliques entremêlées autour de poignées stylisées et de rouages gravés de symboles mystérieux. Rien qui ressemble de près ou de loin à une serrure.

Au bout de quelques minutes passées à vérifier et re-vérifier que ses yeux voient bien ce qu'ils ont vu, qu'aucune serrure n'est magiquement apparue entre-temps et qu'il serait logiquement impossible qu'il ne s'agisse pas du bon mécanisme, Kayel se décide à partir. Autant ne pas se faire surprendre ici. Il rejoint les autres serviteurs comme un somnambule, écoute et obéit machinalement, toutes ses pensées occupées par ce mystère. Finalement il décide de trouver Tenkar.

Prétextant un message à remettre en mains propres au 'maitre d'armes', il n'a aucun mal à retrouver son chef. Tenkar est en train de s'exercer à l'épée avec un jeune noble. Il ne dévoile pas tout son talent, donnant juste du fil à retordre au jeune homme qui s'épuise à tenir son rythme. Lorsqu'il aperçoit Kayel, il ne montre aucune réaction mais fait sauter l'épée des mains de son adversaire d'un simple geste du poignet. Le jeune repart sous les yeux moqueurs des gardes, qui évitent pourtant soigneusement de croiser son regard : un noble humilié cherche toujours un bouc émissaire pour se passer les nerfs et personne n'a envie d'être celui-là. Personne ne prête attention au maître d'arme ni au serviteur qui le cherchait, et Tenkar parvient facilement à s'isoler avec Kayel. Son regard est sévère : l'adolescent n'a pas intérêt à l'avoir dérangé pour rien.

« J'ai réussi à trouver le premier mécanisme, dans la chambre de Joyana. Mais il y a un problème. Ça n'a pas l'air de fonctionner avec une clé, il y a tout un tas de choses à actionner...

‒ Tu y as touché ?

‒ Non.

‒ Très bien. Ça s'ouvre sans doute avec un code. Je vais informer Fleyon. Cherche les autres.

‒ Compris.

Avant de partir, Tenkar accorde enfin un sourire à son apprenti et lui dit :

‒ Beau travail. Sois prudent pour la suite. Ne crois personne. »

Kayel, rougissant, approuve de la tête. Sa confiance un instant ébranlée revient en force. Si son génial chef dit que tout va bien, alors tout va bien.

>&


La bourse ou la vieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant