Dès le lendemain Kayel est envoyé pour apporter leur ravitaillement aux gardes. Etant donné que chaque invité a amené son propre service de sécurité et que les maîtres ont bien mieux à faire que de se soucier des problèmes d'intendances, une bonne centaine d'hommes en armes de différentes maisons se disputent avec les serviteurs et les gardes locaux pour des questions de place, de lits et de nourriture.
Et contrairement aux autres employés, les gardes ne sont pas des hommes très patients sur ces questions-là, comme Kayel commence à le découvrir à ses dépends. Il n'est pas vraiment petit pour son âge, pourtant le soldat – venu d'Ichmérion, d'après son uniforme et son accent rocailleux – le soulève de terre tout en fulminant :
« Par tous les culs de démons tu vas voir si ça suffit ! Je vais te faire bouffer cette merde à pourceaux ! Tu veux nous faire tous crever, c'est ça ?
‒ Je vous... apporte... ce qu'on m'a dit... d'apporter !
Kayel ne peut pas s'empêcher de bredouiller, mais ce n'est pas de sa faute : l'homme le tire par le col, ce qui lui coupe à moitié la respiration, et se met à le secouer. L'adolescent a une pensée de regret envers sa belle épée envolée. Il l'aurait volontiers baptisée en la passant au travers de la panse de cet imbécile.
L'imbécile en question finit par lui coller une gifle retentissante et le laisse tomber à terre. Kayel se retient de ne pas le regarder dans les yeux ni même de raidir ses épaules, ce serait le meilleur moyen de l'encourager à recommencer. Un jour, il se le promet, il sera plus fort que ce genre de brutes, mais pour le moment il ne peut que se faire tout petit et finir son travail. C'est alors qu'une voix retentit :
‒ Je peux savoir ce qu'il t'a fait, ce gosse ?
C'est Tenkar. La brute se retourne agressivement, prête à en découdre avec ce nouveau venu insolent, quand il s'aperçoit que le nouveau venu en question porte une tenue noire, une épée au coté et un chapeau à plume – Kayel, à sa grande stupéfaction, s'aperçoit que c'est le sien. Soit un noble, soit un personnage assez éminent pour avoir le soutien des nobles. Le garde fait donc soumission en bredouillant des excuses concernant un ravitaillement dont même le pire des porcs ne voudrait pas « sauf votre respect, monsieur ».
‒ Et alors ? Laisse le gamin tranquille, ce n'est pas sa faute. Compris ?
‒ Oui, monsieur.
‒ Ah, et autre chose... Tu n'as aucune idée de qui je suis, n'est-ce pas ?
‒ Heu...
Tenkar lui envoie coup de poing dans l'estomac qui plie le garde en deux.
‒ Je suis votre nouveau maître d'arme. Qu'est-ce que c'est que cet endroit où n'importe qui entre comme dans un moulin ? Organisez un tour de garde ! Je veux deux hommes en arme à chaque porte ! Nettoyez ce chantier ! Vous êtes des militaires et je veux voir une rigueur militaire ! Le prochain qui ne marche pas droit je l'envoi directement au mitard ! C'est clair ?
Tous les gardes s'agitent précipitamment, comme un essaim surgissant d'une ruche qu'on aurait bourrée de coups de pieds. Non, en beaucoup moins redoutable : les différents gardes ne se connaissent pas, la hiérarchie est mal délimité, et chacun fait ce qu'il peut sans trop se soucier des voisins. Le soldat à terre perd sa lutte contre son estomac maltraité et vomit aux pieds de Tenkar qui essuie alors sa botte sur son uniforme. Puis le bandit s'approche de Kayel et lui demande, assez fort pour que tout le monde l'entende :
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La bourse ou la vie
FantasyLes premiers pas du jeune Kayel dans la carrière de bandit de grand chemin ne se passent pas exactement comme il l'aurait voulu... Difficile aussi de concilier des rêves de combats épiques et d'or coulant à flot avec une réalité cruelle. Evidemment...