Chapitre 2 - Jack

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- Courrier !

Yohan lâche sur la table un paquet de lettres. Le courrier est acheminé jusqu'ici seulement une fois par mois. Si c'est une affaire urgente, il faut aller le chercher à la plus grande ville du territoire voisin.

Au milieu des lettres blanches, une fine écriture cursive sur une enveloppe violette retient mon attention. Je regarde rapidement le cachet de la poste : elle provient de Ludmia, sur la côte.

D'une main poussiéreuse, je glisse mon couteau dans la fente pour l'ouvrir proprement et un pétale de rose séché s'en échappe. J'en sors un papier à lettre mauve, recouvert de mots inclinés à l'encre noire, et mon cœur sursaute malgré moi en lisant la signature : Ton Olga.

Mes yeux parcourent la lettre pour être sûrs de ne pas rêver. Elle écrit qu'elle aimerait me revoir. Je relis intégralement la lettre une deuxième fois, tandis qu'afflue dans mes pensées un passé que je croyais effacé de ma mémoire. Puis une troisième fois.

- Qu'est-ce que c'est ta lettre ? Ça sent le parfum ! s'écrie soudain Spyke pour qui veut l'entendre. Fais voir !

Joignant le geste à la parole, il me l'arrache des mains. Mon sang ne fait qu'un tour.

- Rends-moi ça ! dis-je en tendant la main vers lui.

Son regard hésite un bref instant sur la cicatrice qui barre ma paume. En signe de notre pacte fraternel, il a la même sur sa main droite. La preuve concrète que notre amitié, bien qu'elle ait toujours été en dents de scie, a connu des jours meilleurs.

Il dédaigne mon ton agressif et se racle la gorge pour lire tout haut d'une voix faussement flûtée :

- Très cher Jack...

Je bondis de l'autre côté de la table pour la récupérer, mais il la maintient d'une poigne ferme, froissant le papier au passage, et il poursuit sa lecture de cette voix haut-perchée exaspérante :

- J'espère que tu te rappelles encore de moi...

À court d'options pacifiques, je lui décoche un coup de poing bien senti dans la mâchoire, qui a l'effet escompté : il lâche mon courrier, pour porter la main à sa lèvre.

- Détends-toi, c'est rien qu'une lettre !

Non, ce n'est pas qu'une lettre. Je le pousse en arrière des deux mains, prêt à en découdre. Il refait immédiatement deux pas menaçants dans ma direction, jamais en reste pour la bagarre, mais Yohan s'interpose :

- C'est bon, il te l'a rendue.

Je rassemble toute ma volonté pour ne pas lui sauter dessus et nous donner en spectacle une énième fois au milieu de l'auberge de Térésa.

Je regroupe mon courrier d'une main et quitte la table en le gratifiant d'un regard équivoque : nous n'en resterons pas là.

*******************

J'ai travaillé à la ferme tout l'après-midi, ça me permet de m'occuper l'esprit, Yohan se débrouillera avec les courriers administratifs.

Les relations avec Spyke sont tendues depuis deux mois, depuis l'histoire avec Anita. Ou même avant, depuis que cette balle ennemie lui a traversé le genou gauche.

En chirurgienne compétente, Sydney a fait un travail d'orfèvre,mais les longs mois d'inactivité forcée l'ont rendu taciturne et vindicatif. À présent, il a récupéré la quasi-totalité de ses capacités physiques, mais il est clair qu'il lui faut oublier les prouesses sportives dont il était adepte et fier. La moindre erreur lui vaudrait un retour direct au bloc opératoire.

Les roses et l'océanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant