Le lendemain matin, nous allons prendre un petit déjeuner en ville. Manger des croissants assis en terrasse au bord de la mer a un goût de sérénité qui n'existe nulle part ailleurs, mais le faire tous les jours, ou même tous les weekends deviendrait ennuyant. Olga, quant à elle, semble bien s'amuser, à regarder des mouettes qu'elle connait par cœur se chipoter un morceau de pain, à s'émerveiller devant un immense navire qui approche pour accoster en se demandant comment on fait pour manœuvrer un monstre pareil.
Nous partons nous promener sur le port de pêche, au milieu de l'agitation gaie et colorée des chalutiers qui déchargent leur poisson frais à mettre en vente. Les oiseaux marins s'en donnent à cœur joie pour essayer de chaparder la marchandise bien à l'abri dans les caisses des pêcheurs.
- Je ne suis jamais monté sur un bateau, dis-je à Olga.
- Moi, si, me répond-elle. Mais je ne suis jamais allée au large. Tu imagines comme ça doit être beau, rien que l'eau et le ciel à perte de vue ?
Personnellement, je préfère garder les deux pieds sur la terre ferme, cela me parait plutôt oppressant de se retrouver isolé au milieu de rien.Dans les boutiques de bazar bigarrées qui longent le port, parmi les vendeurs de glaces et de confiseries, Olga passe la matinée à essayer des tas de chapeaux de paille, de paréos et de lunettes de soleil, sans jamais rien choisir. Je ne me lasse pas de la regarder faire et de donner mon avis plus biaisé que constructif.
- Est-ce qu'il y a une maison close dans ta ville ? me demande Olga en tirant sur un filament de barbe-à-papa.- Non.
- Tu devrais te lancer là-dedans, c'est un business qui marche. Là où il y a des hommes, il faut des femmes.
J'esquisse un sourire. Elle ne se rend pas compte, elle a toujours vécu près de la côte délurée. Les Terres Sauvages sont plus archaïques, mais aussi plus puritaines. Pour parvenir à faire accepter un tel projet au conseil, il me faudrait de sacrés soutiens.
J'en connaissais les bas-fonds, je redécouvre la côte sous son aspect jet-set. Je laisse Olga me balader d'un restaurant branché à une plage privée pour y passer l'après midi. Allongé sur un transat à l'ombre d'un parasol, mes doigts effleurant le sable chaud, j'ai fait la bise et serré la main de tellement de ses connaissances que je serais incapable de me rappeler tous les prénoms.
- Cocktail ? je lui propose en tendant paresseusement le bras vers la carte posée sur la table basse.
- Oui, merci, mais sans alcool, répond-elle derrière ses lunettes de soleil.
À l'océan juste devant, nous avions préféré la piscine plus proche pour nous rafraîchir.
Sur la plage, quelques jeunes hommes préparent un match de volley-ball, mais ils sont à la recherche d'un dernier joueur. Étalé à plat ventre sur son transat, l'équipier qui leur fait défaut semble trop occupé à dessaouler de sa soirée de la veille.Une superbe blonde au bronzage parfaitement uniforme sous son bikini noir s'approche de nous. Une énième bise, un énième prénom que j'aurai oublié dans dix minutes, qui se met à papoter avec Olga.
- Alors, Emi ! appelle son copain resté à côté du filet.
- Ah oui, pardon ! lui crie-t-elle en rigolant.
Elle poursuit en s'adressant à Olga :
- Est-ce que ton mec veut jouer avec eux ? Il leur manque un joueur dans l'équipe.
Olga se tourne vers moi avec un air curieux.
- Non, je réponds directement en adressant un geste négatif de la main vers son copain. Je ne sais pas jouer.
Ce n'est pas totalement vrai, mais réactualiser mes compétences parmi ces types qui partagent leur vie entre la plage, la salle de sport et les boîtes de nuit ne me dit rien qui vaille.
- Allez, ce n'est pas difficile ! insiste-t-elle.
- Une autre fois, Emily.
La fille abandonne, et je ne peux pas m'empêcher de penser à Spyke. Il aurait accepté le défi, juste pour rouler des mécaniques. Étant donné son fair-play légendaire, le match aurait eu quatre-vingt-dix pour cent de chances de virer au désaccord plus ou moins musclé en fonction du tempérament de l'équipe adverse. La nostalgie d'une bonne bagarre dans les règles de l'art, aux côtés de Spyke plutôt que contre lui, me fait sourire dans le vide.
- Quelles activités de loisirs aimes-tu faire, alors ? me demande Olga une fois sa copine repartie à la recherche d'une autre proie.
Maintenant qu'elle pose la question, je réalise que tout ce que je fais a un but utilitaire. Le sport a valeur d'entrainement, le tir encore plus. Les discussions avec Yohan parlent d'affaires et de stratégie. Quand je monte à cheval, c'est pour me rendre d'un point A vers un point B sur un terrain inaccessible en voiture. Même quand je drague des filles, je cible celles qui ont un intérêt pour mes projets. Descendre des bouteilles de whisky ne me parait pas non plus être une réponse acceptable.
- Baiser ?
Elle me regarde par-dessus ses lunettes noires comme si j'étais irrécupérable. Mauvaise réponse.
- Moi, j'aime nager, faire du jogging, jardiner, danser, discuter avec des amis, faire du shopping. C'est ça, des loisirs, Jack.
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Les roses et l'océan
RomansaJack est un pionnier, adepte d'action et d'aventure. A la conquête des Terres Sauvages et de leurs ressources minières pour y faire fortune en toute liberté, il aurait tout pour une vie réussie. Pourtant, sa vie amoureuse n'est qu'une litanie d'éche...