Chapitre 13 - Orage

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Après le restaurant illuminé par les rayons du soleil plongeant dans l'océan sous une douce brise marine, la balade dans les dunes a viré à l'échappée coquine, même si la lune a préféré jouer à cache-cache derrière des nuages brumeux plutôt que d'être de la partie.

Je me retrouve davantage dans l'ambiance de ce bar dansant, plus détendue que celle de sa boîte de nuit codifiée et surfaite. J'adore regarder Olga danser, poser mes mains sur ses hanches qui bougent en cadence avec la musique. Elle est sublime dans sa robe noire fleurie aux épaules dénudées, ses cheveux lâchés virevoltant en même temps qu'elle.

Assis à une table, autour d'un verre, je lui demande :

- Je ne connais rien sur toi. Comment t'es-tu retrouvée à travailler avec Sergueï ?

- Je t'assure que tu n'as pas envie de connaître cette histoire, me répond-elle avec un geste de la main prétendument désinvolte.

- Si, je voudrais la connaître, lui dis-je très sérieusement.

- A une condition, me dit-elle en trifouillant ses ongles. Ensuite, c'est à toi de me raconter ce que tu faisais dans le bar de Sergueï à treize ans.

- C'est d'accord, je réponds sans réfléchir à quoi je m'engage.

Elle me jauge un instant du regard, et prend le temps de boire quelques petites gorgées de son cocktail avant de commencer son récit :

- Eh bien, aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours eu un don d'empathie envers les hommes. Je pouvais ressentir leurs joies, leurs peines, ce qui les faisait vibrer et ce qui les faisait pleurer. Rapidement, j'avais aussi compris comment utiliser cette compétence.

Elle me lance un regard entendu, puis marque une pause en baissant les yeux vers la table. J'attends patiemment qu'elle poursuive, ce qu'elle finit par faire :

- Quand j'ai eu dix-neuf ans, j'ai rencontré l'amour avec un grand A. Celui qui te fait comprendre que l'amour, le vrai, ne se monnaye pas. Tu vas peut-être avoir du mal à y croire, mais je me suis mariée.

Elle s'interrompt, ses yeux glissent sur les miens, puis divaguent vers le DJ, comme si elle cherchait ses mots.

- Malheureusement, il s'est avéré que je ne pouvais pas avoir d'enfant. Alors mon mariage a... tourné court. Je n'ai jamais osé retourner chez mes parents. Je me sentais coupable. Et j'avais honte, terriblement honte. Je me voyais comme une abomination de la nature, incapable de porter la vie. S'en sont suivies deux années très compliquées, je me sentais totalement perdue. Mais le destin a mis sur ma route un ange qui m'a sauvée : Sergueï.

Cela me fait bizarre de me dire que lorsqu'elle a vécu toutes ces souffrances, je n'étais qu'un petit garçon qui grimpait dans les arbres. J'aurais voulu être présent pour elle. À la place de Sergueï, j'aurais eu une tout autre interprétation de ce qu'elle nomme un sauvetage.

Mais ce point de vue ne m'étonne pas de lui. Je me rappelle d'une fois où il avait reçu un groupe de nouvelles filles à placer. Parmi elles s'en trouvait une très jeune qui n'était visiblement pas là de son plein gré. J'avais dit à Sergueï qu'il n'avait pas le droit de la retenir contre sa volonté et qu'il devait la laisser repartir chez elle, même s'il l'avait achetée. Sur le coup, il s'était énervé que je lui dise ce qu'il devait faire, et aussi parce que la fille avait tout cassé dans la chambre où il l'avait enfermée. Il m'avait remis à ma place d'un « ferme ta gueule » et m'avait envoyé réparer ses dégâts. Mais à tête reposée, son explication avait été édifiante :
« Ne m'insulte plus jamais à me parler de fric. Cette fille n'aurait jamais dû se retrouver chez moi, Vlad a voulu vendre son lot en planquant une fille non consentante dedans alors qu'il sait que ça n'apporte que des emmerdes, je règlerai ça avec lui. Mais si je la laisse partir, tu crois qu'il va lui arriver quoi dehors ? Vlad a des torts, mais il n'enlève pas les filles, il les achète, tu comprends ce que ça veut dire ? Ça veut dire que maintenant qu'elle est ici, qu'elle le veuille ou non, sa meilleure protection, c'est moi. Plus vite elle le comprendra, mieux ça se passera pour elle. »
Il était sincèrement convaincu de rendre service aux filles qu'il prenait sous son aile.

Les roses et l'océanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant