Chapitre 15 - Journal

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Je sais, mon Ami, ne me regarde pas comme ça. Je sais que j'ai été dure avec lui. Mais j'ai mené ma barque seule durant toutes ces années, ce n'est pas pour en redonner la barre à un homme, qui plus est de quinze ans mon cadet. Même s'il s'agit de Jack.

Je ne veux pas lui faire de mal. Mais de toute façon, même si c'est le cas, il a suffisamment de force pour ne pas le montrer. Quand il m'a dit au revoir, il n'y avait pas de tristesse dans ses yeux. Lui comme moi, nous n'avons plus de larmes pour ce genre de futilités.

Je sais ce que j'ai fait. C'est lui qui est parti, mais c'est moi qui ai prononcé la sentence. Je l'ai condamné à la liberté. Je ne peux pas le laisser s'enchaîner à moi. Je n'endosserai pas le rôle de la vieille pute rassurante qui sert à se consoler chaque fois qu'on se heurte à un écueil. Pas avec lui. Il vaut mieux que ça.

Il est loin d'être le premier homme à me confier qu'il ne trouve pas chaussure à son pied. Et chaque fois, je ressens de la peine pour eux. Je ne suis pas naïve, je sais quel genre d'hommes je côtoie. Des hommes de guerre, des hommes d'affaires, des criminels et des pirates, des hommes de loi et des hommes sans loi. Jack n'y fait pas exception. Je laisse à Dieu le soin de les juger. Je ne nie pas ce qu'ils ont fait, mais je récuse la moralité d'un droit à être aimé. Ils ont l'argent, ils ont le pouvoir, mais seules des femmes intéressées et méfiantes gravitent autour d'eux, comme s'ils étaient incapables d'aimer. Rien n'est plus faux. Le besoin d'aimer est inscrit au plus profond de nous tous. L'esprit d'un homme peut être manipulateur, impitoyable, glacé, mais pas son cœur.

Je reconnais qu'ils sont difficiles à aimer, ces hommes. Il faut accepter de ne pas être leur horizon. Accepter de perdre face à l'appel du large. Le monde leur apparait trop vaste pour qu'ils se contentent de rester, et ils sont exigeants. Mais cette fois, sans l'avoir prémédité, je tiens son cœur entre mes mains, et je ne sais pas qu'en faire.

J'entends la question que tu me poses entre les lignes, Journal. Mon cœur d'artichaut est-il amoureux de Jack ? Je crois bien que oui. Mais cela n'a pas d'importance, cet amour ne fanera pas comme fanent les roses, parce qu'un pressentiment me dit que je ne le reverrai pas.


Les roses et l'océanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant