Soarën [MYSTIS]

🌲 Chapitre 5.1 🌲

Ylendar Sylkiann n'en revient pas. Jamais il n'aurait imaginé se trouver dans cette situation un jour. Et pourtant...

Le voici au Firmament, réuni avec les autres membres du Conseil, à débattre avec eux de l'avenir de son propre fils au sein de leur communauté.

L'Elfe avec laquelle Eylinn est revenue pour soigner Soarën cette nuit est un vrai moulin à paroles. Ce matin, toute la caste des Guérisseurs était au courant pour sa mésaventure et ses deux Compagnons. À la mi-journée, l'ensemble du village savait. C'est pourquoi un Conseil exceptionnel se réunit ce soir. L'annonce s'est faite précipitamment, dans un chaos désorganisé. Ylendar n'était pas au courant : c'est Arëndrill qui est venu le chercher chez lui, à peine une heure après sa journée de travail, alors qu'il veillait Soarën, toujours inconscient. Le Maître Traqueur a observé avec une profonde compassion son ami déposer sa main sur le front de son fils quelques secondes. Puis les deux ont pris congé d'Eylinn et se sont rendus au Firmament, silencieux et inquiets.

— Comment va-t-il ? a demandé Arëndrill avant qu'ils ne rejoignent les autres Maîtres et les Anciens.

— Mal. Il portera à vie les marques de cette agression.

Le Maître Traqueur a discrètement acquiescé, le regard sombre. Puis ils se sont avancés sur le Firmament. Ils étaient les derniers arrivés. Les rayons du soleil déclinant embrasaient la plate-forme aérienne et leur brûlaient les yeux.

Désormais, il fait nuit noire et des milliers d'étoiles scintillent au-dessus de leurs têtes. Cependant, nulle lune pour ce soir. Tous sont assis ou à genoux au sol, sur la grande place ouverte au ciel nocturne. La Maître Préparatrice leur a fourni de la pâte bioluminescente, et chacun a tracé un cercle autour de lui. Ils ont ainsi un minimum de lumière et peuvent se dévisager à loisir. Ils parlent depuis un moment sans qu'aucune solution ne soit trouvée au problème. Celui-ci est épineux et divise les opinions. Wythir Farleth, le Maître Enseignant qui ne supporte pas le moindre écart aux règles, est l'un des plus fervents opposants à la situation.

— C'est un fait inédit ! martèle-t-il en frappant du poing sur le bois. De mémoire d'Elfe, cela ne s'est jamais produit à Telendriss. Nous ignorons les conséquences que cela peut engendrer pour notre communauté !

— Nous sommes des centaines d'individus, contre Arëndrill dans un marmonnement peu convaincu. Un seul Elfe doté de deux Compagnons ne peut représenter une menace pour tout un groupe.

— Nous vous avons connu moins indulgent quant à la sécurité du village, Maître Traqueur ! Soarën est votre élève, il est évident que vous prendrez son parti quoiqu'il advienne. De même pour vous, Maître Artisan ! relève hargneusement Wythir Farleth en les pointant du doigt à tour de rôle.

— Chers Anciens, si vous le permettez, intervient la Maître Guérisseuse, Killisith Marr'thel, avant que la discussion entre les trois Elfes ne s'envenime. Vénérable Viren Valrei, vous qui êtes notre doyen, et qui avez été par le passé l'un de nos meilleurs Veilleurs. N'avez-vous pas visité de contrées lointaines ?

— Peuh ! L'heure n'est pas aux vieilles histoires, marmotte la Maître Cuisinière avec sa mauvaise humeur coutumière.

Le Maître Enseignant hausse les épaules face à ses protestations et ne renchérit pas. Au contraire, il doit avouer que l'idée de requérir le savoir de leur doyen est une idée excellente à laquelle lui-même n'avait pas songé, dans son emportement. Killisith Marr'thel ignore également la Grincheuse et reprend d'une voix douce, mais forte, afin que le Vénérable l'entende clairement :

— D'autres communautés elfiques ont-elles un jour dû faire face à cette situation ?

Un long silence, à la fois lourd et apaisant, recouvre le Firmament pendant un moment, le temps que Viren Valrei fouille dans sa mémoire pour répondre à la question. Près de trois millénaires de souvenirs se bousculent sous son crâne aux cheveux fins et épars, d'un blanc presque translucide. Le temps assassin l'a d'abord privé de sa vue, puis d'une partie de son odorat et de son ouïe, depuis quelques décennies. Malgré tout, il demeure vaillant, et sa sagesse est précieuse à leur communauté. D'un doigt osseux, il caresse son menton anguleux. Puis il avoue, dans un souffle aussi léger qu'une brise printanière :