🌲 Chapitre 5.3 🌲

13 4 0
                                    

Eylinn et Ylendar quittent la chambre de Soarën pour s'installer face à face dans la pièce de vie. Tout d'abord parce qu'elle est la seule à ne disposer d'aucun accès direct à l'extérieur du Bosquet, ce qui les protègera des éventuelles oreilles indiscrètes. À cette heure de la nuit, ils ne courent certes pas beaucoup de risques, mais Ylendar se méfie des autres Maîtres, dont il sait que certains n'habitent pas si loin. Et aussi car d'ici, malgré la présence de Discorde, ils pourront immédiatement être avertis s'il se passe quoi que ce soit d'anormal avec Soarën. Ils ont d'ailleurs pris soin de laisser le rideau de sa chambre ouvert.

Ylendar raconte ainsi à Eylinn l'opposition farouche du Maître Enseignant Wythir Farleth, la proposition de surveillance qui a été votée à l'encontre de Soarën, mais aussi et surtout l'inquiétante légende des terres de l'Est que le Vénérable Viren Valrei leur a conté. Les yeux de la Préparatrice s'écarquillent peu à peu au fil de son récit, avant qu'elle ne proteste elle aussi à mi-voix :

— Je n'ai jamais entendu parler de cette légende. Et je suis persuadée que le Maître Enseignant non plus.

— Tu verras pourtant que demain midi, tous nos jeunes la connaîtront par cœur, présage sombrement Ylendar.

— Tout cela me paraît... tellement insensé, souffle Eylinn en se levant pour boire un peu d'eau, toujours sous le choc. Même si je peux comprendre la peur des membres du Conseil, malheureusement. Moi aussi, je suis terrifiée. Mais plus pour Soa que pour le village, je dois l'avouer...

— C'est bien normal. Tu es sa mère, la rassure Ylendar avec un sourire tendre. Tu n'as pas à t'en vouloir de préférer ton fils aux autres... Je suis un Maître, et pourtant, lors du vote, j'ai suivi mon cœur pour tenter de le protéger. Et j'ai échoué, soupire-t-il en serrant les poings sous la table.

— Il n'est pas banni, c'est toujours ça. S'il ne se passe rien de problématique avec ses Compagnons, la surveillance établie par le Conseil devrait finir par s'estomper au fil des ans, non ?

— Je me méfie de cet imbécile de Wythir et de ses talents d'orateur, grommelle le Maître Artisan. Il serait capable d'en faire changer d'avis quelques-uns... Et même si tout se déroule bien, tu imagines de quelle manière les autres Elfes vont percevoir Soarën, désormais ?

— Oh, qui ira donner du crédit à de vieilles légendes étrangères à notre forêt ?

— Toutes nos jeunes générations, grince Ylendar. Sans compter que les bruits courent vite. Les Compagnons de Soa vont attirer de la jalousie ; leur nombre, de la curiosité ; leurs couleurs, de la méfiance. Et le récit du démon de l'Est à deux Compagnons ne causera plus que de la peur et de la haine. C'est pourquoi...

Le Maître Artisan s'interrompt le temps de prendre une profonde inspiration, puis déclare :

— C'est pourquoi j'avertirai Soarën de tout cela lorsqu'il sera rétabli, avant qu'il ne retourne dans sa caste.

— Mais c'est interdit par le Conseil ! Tu t'exposes déjà à de graves ennuis si on apprend que tu m'en as parlé...

— Je le sais. Mais je veux que Soarën soit libre de décider de la manière dont il compte vivre sa vie. C'est lui, le Traqueur. Il n'a pas à passer le reste de son existence à devoir être sans cesse surveillé, craint... haï, peut-être...

— Si te le fais partir, tu ne vaudras pas mieux que ceux qui souhaitent le bannir ! s'emporte Eylinn en haussant légèrement la voix, au bord des larmes. S'il s'en va, tu sais qu'il ne pourra plus revenir !

Ylendar lui fait prudemment signe de baisser d'un ton. Démuni face à l'expression décomposée de la Préparatrice, il contourne la table et va l'enlacer dans ses bras puissants. Avec tendresse, il se plaque contre son dos et cale sa tête au creux de son cou.

Soarën [MYSTIS]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant