Soarën [MYSTIS]

🏹 Chapitre 8.1 🏹

— Où est-ce qu'on va ? jappe Funest, avide de nouvelles découvertes.

— Je ne sais pas. Le plus loin possible d'ici, pour le moment, soupire Soarën.

— Plus loin que le rassemblement des ours ? Après la rivière du nord ?

— Oui, plus loin encore... Fun, en partant du village, j'ai déshonoré ma famille, ma caste et toute la communauté. Mis à part mes parents, le Maître, Dyntaëll et Ötellan, tous les autres Elfes n'hésiteront pas à m'abattre à vue. Plus rien ne les en empêche, désormais. Tant que nous resterons à Telendriss, nous ne serons pas en sécurité...

Soarën marque une pause, le temps d'assimiler ce qu'il s'apprête à dire.

— Nous allons quitter la forêt.

En vérité, il est le seul à en être profondément troublé. Discorde et Funest ne sont pas de Telendriss : avant d'être contrôlés par le noir, ils vivaient dans d'autres régions du monde. Durant ces heures qu'ils ont passées à parler de tout et de rien, l'Elfe les a souvent interrogés à ce sujet. Ils lui ont décrit de leur mieux les vaste plaines désolées et les bois obscurs d'où chacun est originaire. Soarën s'est pris à rêver de ces espaces inconnus, en espérant pouvoir un jour les découvrir de ses propres yeux. Mais ses Compagnons ne peuvent pas l'y guider : privés de leur libre-arbitre, ils n'avaient aucune conscience de leurs gestes ni de leur environnement. Ils n'ont donc pas la moindre idée d'où se situe leur chez-eux par rapport à Telendriss. Ils s'en excusent, désolés, et Soarën hausse les épaules.

— Ce n'est rien. Je n'ai jamais quitté la forêt de ma vie... J'ai tout à apprendre du monde extérieur.

— J'espère que ça ne va pas être trop dur, s'inquiète Discorde. La légende qui a détruit ta vie vient des terres de l'Est, et c'est par là que nous allons...

— Je compte bien éviter de recroiser des Elfes ces prochains siècles, marmonne-t-il sombrement.

— Et si les autres races connaissent aussi cette histoire ?

— Alors on improvisera. Mais je dois essayer... et je ne peux pas rester ici, de toute manière.

Après quelques heures de marche, les arbres autour d'eux commencent à s'espacer. Un dernier quart d'heure s'écoule, et ils quittent pour de bon la forêt de Telendriss. Soarën fait ses adieux muets à la végétation dense qui l'a abrité durant ces deux cent cinquante dernières années, puis se retourne vers le tout nouveau paysage qui se dévoile à lui.

Par automatisme, son œil de Traqueur analyse tout. Les plaines qu'il découvre sont légèrement vallonées et paraissent interminables : impossible d'avoir une estimation précise de leur étendue. L'herbe est assez courte, signe évident que des herbivores y vivent. Çà et là, certains terrains paraissent plus sauvages, avec de la végétation folle, des fourrés denses et des bosquets d'arbres. Ceux-ci sont de taille normale, mais pour Soarën, habitué à la flore gigantesque de Telendriss, ils apparaissent ridiculement petits. Leurs troncs frêles et noueux couronnés d'un feuillage lourd et sombre les rendent à la fois fragiles et menaçants. Par endroits, de grands rocs couverts de mousses émergent du sol : d'excellentes cachettes pour les prédateurs. Car il y en a forcément, pour réguler la population d'herbivores. Ainsi fonctionne la loi de la nature, et bien qu'il ne soit plus dans sa forêt, Soarën doute que la règle soit différente ici.

S'il connaît par cœur la moindre habitude des créatures de Telendriss, il ignore en revanche tout des animaux qui lui sont extérieurs. C'est donc avec une prudence relative que Soarën effectue ses premiers pas dans ce nouveau monde qu'il découvre. Un environnement aussi boisé que son domaine natal exigerait de lui une attention de tous les instants. Mais après plusieurs minutes passées à évoluer dans ces vastes plaines, Soarën se détend un peu. Sa vision est bien plus dégagée qu'en forêt, ce qui lui permet de voir arriver le danger de loin : il n'a pas à être exagérément sur ses gardes... bien qu'il ne puisse s'en empêcher, malgré tout. Les réflexes de Traqueur ont la vie dure.