Pour mon plus grand plaisir, les conversations suivantes ne furent tournées que vers le travail, les projets, les budgets.
Sur un signe d'Adam, j'invitais ces messieurs à passer à table. Nous avions une grande table baroque transparente, des chaises capitonnées assorties, et derrière : la plus belle vue de la ville, une immense baie vitrée de laquelle on pouvait voir les lumières et les montagnes au loin.
Je mangeais à peine, trop angoissée. J'épiais les réactions d'Adam qui m'ignorait royalement, c'était bon signe. Personne ne me portait d'attention, ce qui eut pour effet de faire baisser mon rythme cardiaque à une cadence presque confortable.
Les plats étaient excellents pour le peu que j'en goutais, le vin allait de pair. Arriva le moment du dessert.
J'avais fait une erreur et je m'en rendis compte au moment de servir, j'avais oublié le champagne. Adam aimait le champagne, surtout au dessert, cela le rendait prestigieux.
N'attendant pas le reproche, je demandais à mon fiancé quelle bouteille de bulles il voulait que je prenne dans sa cave personnelle pour accompagner le gâteau.
Il leva la tête au ralenti et se leva sans dire un mot, me poussant dans la cuisine.
— Tu devais t'occuper de çà!
— J'ai oublié le champagne, je suis désolée mais tu en as plusieurs bouteilles dans la cave à vin, on peut en prendre une, comme çà tu la choisis.
— Si j'avais voulu prendre une de mes bouteilles, je ne t'aurais pas demandé de t'occuper de tout! me répondit-il en me serrant le bras si fort que je savais que j'allais avoir la marque de ses doigts imprimée.
Il souffla, agacé, avant de prendre une des bouteilles dans la cave et de l'apporter en souriant à ses confrères.
Quand je revint à table, je surpris un regard insistant sur mon bras, je baissais la tête remarquant les traces rouges des doigts d'Adam. Je prétextais avoir froid et allais chercher une gilet.
Le drame passé, tous semblaient ravi du dîner je pouvais me détendre en allant faire les cafés. J'étais dans la cuisine en train de moudre les grains quand il rentra dans la pièce.
— Juliette, j'espère que je me trompe...
— Qu'est-ce que tu fais ici? Retournes vite avec eux!
— Dis moi que ce n'est pas ce que je crois!
— S'il te voit me parler, ce sera pire. Va-t'en s'il te plait Arnaud.
Ce regard ... mon corps pouvait tout supporter mais mon cœur ... J'avais déjà vu ce regard tant de fois dans ses yeux : la déception, la pitié.... Je me retournais pour continuer ce que j'étais venue faire, priant pour qu'Adam ne l'ai pas vu me rejoindre.
La soirée se termina bien, pas de nouvel évènement à déclarer. Les invités partirent enchantés, Adam avait ce sourire qui m'avait fait craquer. Quand il le voulait, il était adorable.
Je le regardais, attendrie, quand il ferma la porte et tourna le visage vers moi. Son sourire pâli pendant qu'il me fixait. Je tentais de m'approcher de lui pour le prendre dans mes bras mais il me repoussa.
— Qu'est-ce qu'il t'a dit?
— Comment ça? De qui tu parles?
— Ne me prends pas pour un idiot, je lui ai indiqué les toilettes, il t'a rejoint dans la cuisine et t'a parlé. Peut-être voulait-il poursuivre la conversation que vous avez eu quand il est arrivé?
— N'importe quoi, nous n'avons pas parlé quand il est arrivé et dans la cuisine il est venu me demander le nom du traiteur, c'est tout.
S'il vu que j'avais menti, il n'en dit rien. Il me prit violemment pour me "punir" de m'être habillée de façon provocante, sans aucune tendresse et alla se coucher.
Le lendemain soir, quand il rentrait, j'étais en train de travailler sur mes cours aussi je ne vis pas son regard meurtrier. La surprise fût plus importante que la douleur quand il m'attrapa par les cheveux pour me faire basculer au sol.
Il s'assit sur mon torse, le regard fou, une de ses mains encerclant ma gorge, ses genoux sur mes bras avant de me cracher:
— J'ai vu Arnaud Grind aujourd'hui et tu sais ce qu'il m'a dit ? Il m'a dit de te remercier pour le nom du vin qu'il était venu te demander dans la cuisine, car ainsi il avait pu trouver le même. Pourquoi m'as tu menti Juliette?
— Je l'ai connu enfant, nous habitions le même immeuble. Il est venu dans la cuisine pour me saluer simplement. J'avais peur de ta réaction si je t'avais appris le connaitre.
— Tu l'as baisé?
— Pas du tout Adam, c'était un copain quand nous étions enfants, il était un peu plus âgé que moi et il a déménagé, on ne s'est pas revu depuis c'est tout.
Son regard restait furieux mais il me libéra avant de me prévenir que s'il se rendait compte que je lui avait encore menti, je le regretterais. Et je le croyais sur parole.
Adam n'avait pas toujours été comme çà. Je l'avais connu alors que je travaillais dans un bar pour payer mes études : Grand blond, les yeux clairs, la mâchoire carrée, une prestance incroyable, il souriait, il était charmeur. Il avait passé un été entier à me courtiser de manière vraiment charmante. J'y avais vu une opportunité.
Son père qui détenait une entreprise florissante, venait de l'en nommer directeur en partant à la retraite. Nous avions passé des mois fabuleux, Adam détestait venir dans mon petit studio aussi, il m'avait proposé d'emménager chez lui quelques mois plus tard. Petit à petit, il été devenu jaloux, possessif maladif sans aucune raison particulière.
Ca avait commencé par des crises de jalousie, puis une première claque suivie d'excuses interminables. Et les choses avaient empiré.
J'aurais pu partir, mais j'avais réussi mon Master de Droit, j'étais en prépa pour le concours de l'école de mes rêves, si je prenais le temps de travailler pour payer un logement, je perdrais des chances pour réussir mon concours.
J'encaissais, je connaissais les coups, les insultes, les menaces. Ca aurait pu être risible si ca n'avait pas été aussi triste. Se retrouver dans une telle situation ... ce que j'avais voulu fuir toute mon enfance. Je pouvais encore sacrifier quelques années en espérant qu'il n'aille jamais trop loin. C'est aussi la raison pour laquelle j'essayais de le contenter au maximum.
Adam était sous pression à cause de son boulot : son père, bien qu'à la retraite, lui demandait des objectifs toujours plus hauts.
J'avais essayé de lui en parler mais il finissait en pleur à chaque fois, me menaçant de se foutre en l'air si jamais je l'abandonnais.
Il n'avait aucune idée de ce que j'avais vécu enfant. Tous les gens qui m'étaient plus ou moins proches aujourd'hui n'en avaient aucune idée. J'avais enterré la petite Juliette et son enfance. Je mentais disant que mes parents avaient été géniaux mais étaient morts dans un accident de voiture à mon adolescence.
Les jours qui suivirent, Adam était si stressé que je n'osais même plus lui parler, je faisais en sorte que tout soit comme il l'aimait à la maison, je me faisais discrète pour ne pas l'étouffer. Mais l'alcool ... je ne pouvais pas lutter quand il buvait et qu'il rentrait de mauvaise humeur. Dans ces moments là, il oubliait qu'il ne fallait pas frapper là où tout le monde pouvait le voir, et ce soir là je dû m'endormir avec une poche de glace sur l'œil droit et une autre sur le coin de la lèvre gauche, un Adam en larmes enroulé autour de mon corps.
Le maquillage avait réussi à couvrir l'hématome qui jaunissait autour de mon œil droit, mais ma lèvre éclatée restait visible. Adam avait choisit ma tenue pour ce dîner professionnel au restaurant, dîner auquel les épouses étaient conviées.
La compagne d'Arnaud était rayonnante ... je n'étais pas étonnée, Arnaud avait été mon rayon de soleil à moi aussi.
Quand je le vis fixer ma lèvre abîmée, mon cœur se serra au souvenirs de ce que nous avions vécu et j'eus honte pour la première fois depuis des années, j'eus honte de ma lâcheté.

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Toujours debout
RomanceLes cheveux emmêlés, des vêtements sales, des chaussettes trouées, elle attend sur une marche d'escalier dans cet immeuble glacial. Les larmes ont laissé des sillons sur son visage crasseux. Du sang séché sous le nez, elle à ce regard vide, usé, cel...