Scène 3

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Arnaud, 17 ans plus tôt

Nous rentrions de mon premier jour dans ma nouvelle école, maman était venue me chercher avec mon gouter préféré. J'avais été tellement triste de quitter notre joli quartier, ma jolie école.

Papa avait perdu son travail et celui qu'il avait retrouvé payait moins, aussi il nous avait fallu déménager.

Passer d'une jolie maison avec jardin à un vieil appartement dans un immeuble tout aussi vieux m'avait fait beaucoup de peine, mais bon nous étions ensemble et je m'étais déjà fait des copains à l'école.

Il faisait un froid de canard, j'étais bien content d'avoir mon gros manteau et mon écharpe. En rentrant dans l'immeuble, les lunettes de maman s'embuèrent et cela nous fit rire tous les deux. C'est à ce moment là que je la vis pour la première fois.

Une petite fille, plus jeune que moi était assise sur une marche des escaliers sales. Ses cheveux étaient tout emmêlés, sur son visage sale, on pouvait voir les sillons que les larmes avaient laissé. Elle ne portait qu'un vieux tee-shirt à manches courtes et un pantalon de toile, pas de chaussures, juste des chaussettes trouées. L'enfant que j'étais allait rire mais son regard ... Ses grand yeux gris ourlés de cils mouillés étaient cernés de noirs, un hématome prenait forme sur l'une des joues et du sang avait coulé de son nez. C'était l'image la plus triste à laquelle mon cœur de jeune garçon n'avait jamais face.

Je m'étais, sans m'en rendre compte, arrêté devant elle quand ma mère tira sur mon bras pour me faire continuer à monter les escaliers. La petite fille avait remis sa tête entre ses genoux.

Je n'avais plus rien dit jusqu'au dîner j'avais réfléchi et avait tiré mes conclusions mais quand papa, maman et moi étions à table, je demandais:

— Maman, cette petite fille, qu'est-ce qu'elle a?

Maman soupira en regardant mon père et me répondit:

— Je crois qu'elle n'est pas née dans la bonne famille Arnaud, c'est tout.

— Ca veut dire que ce sont ses parents qui lui ont fait ces bleus sur le visage?

Maman hocha la tête mais ni l'un ni l'autre ne me répondit quand je demandais si on pouvait l'aider.

Les semaines passèrent sans que je revois cette fille, j'entendais crier, pleurer quand je passais devant chez elle, parfois je n'entendais rien du tout et je n'arrivais pas à savoir si je préférais le silence au bruits familiers qui me garantissaient qu'elle était toujours là.

J'allais seul à l'école à présent, maman m'avait montré le chemin plusieurs fois, ce n'était pas loin et ce matin, je la vis. Elle marchait devant moi, sans manteau, un vieux cartable sur le dos. J'avais envie de lui parler mais j'étais timide aussi je me contentais de la suivre. Elle allait dans la même école que moi! Je ne l'avais pourtant jamais vu.

En entrant dans l'école, je compris pourquoi. Elle se cachait des autres. Dès son arrivée, je les entendis : les moqueries. Les filles se moquaient de ses vêtements, de sa coiffure, de son cartable. Les garçons se moquaient de son physique, du fait qu'elle finirait clocharde ou alcoolique comme ses parents. Elle, elle ne disait rien, elle allait se cacher dans le petit recoin entre les toilettes de la cours et le grand platane. Ce fut la deuxième image la plus triste que mon cœur absorba.

J'y pensais tous les jours, à chaque récréation, elle retrouvait son petit coin. Le midi, alors que nous mangions tous à la cantine, elle restait dans la cours. J'entendais les adultes s'en émouvoir mais ils ne faisaient que critiquer ses parents qui ne payent jamais. Je décidais de passer outre ma timidité, je gardais mon pain et ma pomme et allais les lui donner.

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