-Alec-
- C'est super ingénieux comme système. Qui a eu cette idée ? demandais-je au chef des bâtisseurs en reproduisant l'assemblage qu'il venait de me montrer, pour terminer l'extension du toit du dortoir.
- Je sais pas trop, on a toujours fait comme ça. Parfois certains blocards ont des révélations, comme s'ils savaient exactement quoi faire. On pense que c'est la mémoire musculaire qui se met en marche. C'est comme ça qu'on a pu construire tout ça, y compris les choses immatérielles. Nos lois ne sortent pas de nulle part, elles sont dans l'inconscient collectif parce que c'est sûrement comme ça qu'était construite notre société, avant WICKD, ajouta Gally d'un air sombre. Et parfois quand la boîte remonte avec des provisions on y trouve des notes. Des schémas. On pense que quelqu'un à pu essayer de nous aider mais ça fait longtemps qu'on a pas eu ce genre de papier.
- Tu pense qu'il lui est arrivé quelque chose ? A la personne qui vous aidait ?
- J'en sais rien. Je commence à me demander si elle aurait pas pris un tournant plus radical et décidé de venir nous sortir de là elle-même.
- Attends, tu parles de Calyx ? lâchais-je surpris. Quand on y pense, ça n'aurait rien d'illogique mais c'est un peu farfelu. Moi je la sens pas, ça m'a un peu refroidi de la voir te planter comme ça, sans aucune raison.
- Bah... commença-t-il. Je l'avais un peu cherché. Et puis arrêtez avec cette histoire, j'ai même pas eu besoin de points. C'était qu'un petit accrochage amical.
Mes sourcils ont dû se lever au-delà de mon crâne parce que Gally s'empressa de rectifier :
- Ok c'est pas le mot. Mais crois le ou non, c'est loin de m'avoir déplu. Il y avait une sorte de tension entre nous, j'avais pas vécu une situation aussi excitante depuis... aussi loin que ma mémoire puisse remonter. Et va pas croire que c'est qu'une histoire de gonzesse. Il y a eu un truc, c'était de l'alchimie.
- Ouais, le narguais-je sans pouvoir m'empêcher de rigoler, on se dit tous ça ! On a tous une connexion avec la seule fille du Bloc. Je vois parfaitement ce que tu veux dire.
- T'es con quand tu t'y mets. Va plutôt me chercher le nouveau au sarclage, il va nous falloir de la main d'œuvre. Alby veut qu'on finisse le boulot, l'entrainement commence demain.
Gally s'obstinait à appeler Jake le nouveau alors que techniquement, c'était Calyx la nouvelle. Jake avait gagné son droit de se faire appeler par son prénom. Mais je ne relevais pas, si j'aimais taquiner les blocards, être en bon termes avec un maton était un privilège facile à acquérir, mais encore plus à perdre. Et j'avais la nette impression que le sujet « Calyx » n'était pas à moquer trop longtemps.
Jake et moi, on était très proches. J'étais moi-même le nouveau de l'époque lorsqu'il est arrivé. Et un tragique évènement peu avant que je n'émerge de la boîte avait miné le moral des blocards. Si bien qu'on ne m'en avait jamais parlé. Et qu'on ne me parlait pas beaucoup tout court. A l'arrivée de Jake, les choses étaient peu à peu revenues à la normale et nous nous étions intégrés en même temps. Il est un poil plus jeune que moi et, sans dire que je le voyais comme un frère, il était tout de même mon protégé. Gally n'avait pas voulu de lui chez les bâtisseurs en raison de sa faible condition physique – même constat pour les coureurs – et il s'était retrouvé à l'infirmerie en raison du sous-effectif. Et comme ça ne lui plaisait pas tant que ça il allait être ravi de pouvoir venir nous filer un coup de main. Il faut dire que le boulot à l'infirmerie consiste à étudier le peu de bouquins qui parlaient de plantes dont nous disposions, où bien tenter de gérer une blessure grave voire mortelle sans aucune compétence médicale. Pas de juste milieu.
Lorsque j'arrivais à l'infirmerie, Jake était là, plongé dans sa lecture. Je me penchais discrètement au-dessus de son épaule. Il étudiait une page annotée au crayon à papier : « puissant anti-coagulant, cherchez bord du lac ». Mon petit doigt me disait que ça, ce n'était pas signé WICKD. Je m'apprêtais à donner une énorme tape sur son épaule afin de l'effrayer lorsque Calyx entra.
- Un bâtisseur, parfait. Alec viens par ici, dit-elle simplement tout en ruinant mon plan.
Jake se retourna instantanément, l'air ahuri, et me gratifiant d'un coup dans le bide. Je l'envoyais auprès de Gally avant de suivre la blocarde. Il lui fallait du bois. Beaucoup de bois. Et ça c'était drôlement emmerdant vu le temps qu'il nous fallait pour en couper. C'était même l'une des tâches les plus éreintantes ici.
- Si tu veux autant de bois il va falloir participer à la coupe, on n'a pas les ressources pour satisfaire ta demande.
- Je me doute, renchérit-elle, en fait je voulais juste savoir si je pouvais emprunter du matériel. Les bâtisseurs n'étaient pas en poste quand je suis passée alors je tourne au hasard dans le Bloc. Mais vu que tu es venu chercher Jake...
Je me radoucis un peu. En fait, je ne savais même pas pourquoi je lui avais parlé aussi sèchement. Je crois que je m'attendais à ce qu'elle me donne un ordre puis tourne les talons. Je ne comprenais pas pourquoi elle faisait tant d'effet – mis à part en étant la seule représentante du sexe féminin – parce que tout le monde avait un sentiment fort à son égard. Peur bleue ou admiration injustifiée. Et ça commençait à doucement m'énerver.
- Tu peux me suivre alors. J'y retourne. Je suis pas sûr qu'on ait assez de haches mais tu pourrais participer à la chaîne, Gally te dira bien ce que tu dois faire.
Je surveillais sa réaction à la mention du maton, mais son visage resta impassible. Elle ne ressentait rien à propos de l'incident ? Elle était pas nette, on me fera pas penser le contraire. Je lui attrapais le bras pour l'inciter à me faire face.
- Je te préviens, commençais-je tout en restant à l'affût pour ne pas finir embroché. Je sais pas ce que tu mijotes, mais si tu t'en prends encore à l'un d'entre nous...
- Alec. Lâche-moi s'il te plait.
Je remarquais que ma main serrait son avant-bras au niveau du tatouage, ce qui devait être douloureux vu l'avancement de la cicatrisation. Je commençais à relâcher la pression lorsqu'un détail attira mon attention. J'attrapais son bras différemment, en faisant attention cette fois, et de manière à ce que le texte soit lisible pour moi.
- J'ai déjà vu cette écriture, lâchais-je interdit, il y a quelques minutes à peine. Viens, suis-moi !
Je l'entraînais de nouveau à l'infirmerie et attrapais le volume que Jake lisait. J'ouvrais plusieurs pages au hasard à la recherche d'une note au crayon. Là. C'était indéniablement la même écriture. Le message sur le bras de la blocarde était moins assuré, le trait plus tremblant, mais les notes du livre avaient été écrites à la va-vite alors les similitudes étaient poignantes.
- C'est toi, tu as écrit tout ça. Putain j'en reviens pas. Alors ils ont raison, tu es vraiment là pour nous aider...
VOUS LISEZ
Le glas du Labyrinthe - Sors-les de là
FanfictionMes pensées s'obscurcirent alors que l'eau pénétrait mes poumons. Je devais y arriver, il le fallait. «Sors-les de là» Les mots gravés sur son bras ne laissaient que peu de place au doute. Il le fallait, elle le leur devait. Elle ne savait plus qui...