3. Les collégiennes fantasment sur lui

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En quelques jours, Damien est la coqueluche du collège. Il est beau, intelligent, cool, charismatique. Après la petite confrontation et le travail ennuyeux de dernière minute l'autre soir, la situation s'est beaucoup apaisée entre nous. Avec le recul, je comprends ce qu'il a fait ; ça doit le fatiguer qu'on attende de lui autre chose que ce qu'il est réellement. Sacha dit qu'elle savait que ça se passerait bien et que c'est pour ça qu'elle m'a lâchée ce soir-là, mais j'ai vu comment elle regarde M. Parot, et comme par hasard, ce soir-là, il a fini à la même heure qu'elle...

Pour une raison qui m'échappe, Damien me met en copie de tous ses courriels professionnels, même de ceux qui ne sont pas en rapport avec des cours ou de évaluations. Il doit me prendre pour son assistante personnelle. Sacha dit que c'est une question de confiance ; personnellement, je me passe bien de connaître tous ces détails sur lui, ce qu'il demande à la direction, et tout. Il a aussi la manie de m'envoyer les élèves systématiquement avant de traiter leurs demandes ; je fais office de bouclier humain, ou quelque chose comme ça, c'est sûr.

Les collégiennes branchées aux dramas en intraveineuse me mitraillent tous les jours de questions. C'est inédit pour elles aussi, un prof asiatique. Je leur explique qu'il est français, en fait, mais elles ne l'acceptent pas.

- Vas-y, Fetnat, lâche un truc, j'sais pas, n'importe quoi !

Ça les rend folles. Parfois, dans les courriels des élèves, je vois des questions sur sa vie privée. Il élude à chaque fois. Comme il veut faire un briefing chaque matin et un débriefing chaque soir, le sujet revient et il me donne les réponses, à moi, en ajoutant tout de suite que je n'ai pas besoin de répondre aux petites curieuses. Ça va de « Damien, est-ce que vous venez d'une famille chaebol ? » à « Damien, est-ce que vous êtes marié ? ». Il ne rit jamais à ces questions, il doit être blasé ; sauf une fois, où une collégienne lui a demandé s'il aimait les femmes noires. Honnêtement, j'ai trouvé que son rire était... jaune, mais je n'ai rien dit.

- Elles ont l'imagination fertile, hein ? a-t-il dit en secouant la tête.

Oui, elles en ont, je suis bien d'accord, mais cette fois-ci, la réponse m'intéresse... il ne me la donne pas.

C'est une discussion qu'on a eu une fois, avec Sacha : comment se fait-il que certains couples sont plus rares que d'autres ? Elle, qui vient d'une famille d'immigrés d'Europe centrale, pense que c'est socio-économique : pour se rencontrer, il faut d'abord voyager. Les gens qui restent tout le temps dans leur communauté n'ont pas trop l'occasion de se frotter à d'autres nationalités ou d'autres cultures. Moi, je pense que c'est parce que c'est compliqué de changer sa façon de penser quand on a déjà une idée arrêtée sur tel ou tel population. Par exemple, j'ai une voisine qui appelle tous les asiatiques des « chinois ». J'ai beau lui expliquer qu'il y a plusieurs autres pays en Asie, elle ne s'en préoccupe absolument pas. J'ai envie de soumettre la question à Damien, mais l'absence de réponse a bien trop l'air d'un signe qu'une certaine limite ne doit pas être franchie.

En dehors de ça, c'est plutôt chouette de travailler avec lui. Il ne fait pas de blague grivoise comme Raymond, il est plus concentré qu'Hervé, sans comparaison avec Farid, et plus attentif à mon besoin d'information que M. Parot. Je ne parle pas des profs de français, qui ne me demandent habituellement que de leur faire des copies. En réalité, il n'y a que lui qui me sollicite autant.

Bon, si Sacha dit que c'est une question de confiance...

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