7. Ça va être ta Fet !

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J'ai très mal dormi. Je n'ai même pas dormi du tout. J'ai eu des sueurs froides, des maux de dos, des maux de tête, des acouphènes... peut-être même une attaque cardiaque aussi, mais le jour m'a trouvée suffisamment saine pour que je me lève. D'un simple texto, il m'a donné rendez-vous à dix heures dans la rue en bas de chez moi, pour aller au cinéma. A cinq heures trente, mon studio ressemblait à une boutique en période de soldes. J'avais oublié combien on devient insensé, quand on sort avec quelqu'un. J'ai mis mon éternel jeans et un sweatshirt à capuche. Tant pis, il n'a qu'à se trouver quelqu'un d'autre s'il n'est pas content.

A dix heures, je descends, l'air de rien. J'attends quelques minutes, et puis j'ai soudain le sourire : il est en retard pour un premier rendez-vous qu'il a lui-même fixé, la voilà, mon excuse ! Je tourne les talons, et je m'arrête net. Il est là, derrière moi, super élégant en costume bleu sombre, l'air incrédule. Je feins la surprise.

- C'est juste un cinéma, non ?

La déception se lit dans son regard, et je me sens un peu mal.

- C'est juste un cinéma, confirme-t-il, et il s'avance pour me prendre la main.

Les passants nous regardent avec insistance.

- Je vais me changer, attends-moi quelques minutes.

Je remonte, je passe une vieille robe bigarrée que je n'ai pas mise depuis au moins dix bonnes années, mais c'est la seule que je peux porter confortablement, et je redescends en quatrième vitesse. Il sourit en me voyant.

- Je ne t'avais jamais vue en robe, tu es très jolie.

Pouah, c'est cucul-la-praline, tout ça, pourtant c'est le même qui s'est senti suffisamment confiant pour «éliminer la concurrence », alors je prends mon mal en patience.

A nouveau, il prend ma main, et les passants se mettent à nous dévisager.

- Ce n'est pas ta tenue, dit-il, c'est notre couple qui attire l'attention. Nous sommes trop beaux.

Impossible de faire plus niais, mais j'apprécie qu'il ne fasse pas semblant d'ignorer ce qui se passe. Plusieurs passants noirs le dévisagent, puis se moquent de lui après l'avoir dépassé. Je regrette de n'avoir pas fait plus d'effort pour être élégante à ses côtés. Je le trouve courageux ; je ne l'imaginais pas comme ça. Nous marchons en silence dans la rue ; le cinéma est dans le centre-ville, non loin. Je suis tendue, j'ai un peu peur de ce qu'il va demander, de ce qu'il attend, de ce qu'il va dire. Sa main est chaude ; il joue avec mes doigts, qu'il croise, décroise, recroise, en gardant un sourire un peu niais aux lèvres. Il a l'air amoureux, en fait.

Je repense alors à la fanfic, et je ne peux pas m'empêcher de me demander ce que les filles ont bien pu écrire pour l'emballer autant. Il se rend compte que je l'observe et se met à parler de choses inutiles, comme le temps qu'il fait et la couleur changeante du ciel. Pendant qu'il parle, je l'imagine en train de se repasser en boucle dans sa tête les passages les plus grivois du texte. Il ne voyait certainement plus la robe, mais au travers, comme Superman.

- Et si on prenait une photo ?

- Aucun intérêt, on ne voit que mes dents, sur les photos.

Il fronce les sourcils et s'arrête.

- Alors je dirai que je me promenais avec une lointaine cousine du chat du Cheshire.

Sa réponse me fait rire, il en profite pour presser ses lèvres sur les miennes.

- Non, sérieux, il faut que je poste quelque chose, elles me suivent sur les réseaux sociaux.

J'avais complètement oublié les réseaux sociaux ! Avant que je ne puisse me défendre de cette intention, il sort son smartphone, m'enlace et prend une photo de nous. Une sensation grisante m'envahit quand il me serre contre lui, et je me laisse reposer un peu sur lui. Son sourire s'élargit, le sang monte à mon visage, j'ai soudain super chaud.

- Je vais aussi la mettre en fond d'écran, dit-il avec enthousiasme.

Nous finissons par arriver à la salle de cinéma. Là encore, plusieurs personnes nous dévisagent. Il ne lâche pas ma main. Je veux voir un film d'action, il préfère une comédie. Je cède, en le prévenant que j'aime regarder les films dans la tranquillité pour ne manquer aucun détail. Mais ça ne rate pas : il susurre, frôle et caresse jusqu'à obtenir l'opportunité du baiser profond qu'il attend. Plus tard, lorsque nous sommes attablés pour déjeuner, il obtient aussi la description de mon genre d'homme, et mon historique amoureux, tout en restant mystérieusement silencieux sur le sien.

- Je n'ai plus de type de femme favori, dit-il finalement avec malice. Je ne vois plus que toi. Mais si tu aimes les beaux bad boys romantiques aux cheveux longs, je verrai ce que je peux faire. Attention, il faudra gérer mon ego et mon succès auprès des autres femmes, si je deviens irrésistible. Tu me défendras coûte que coûte?

Il m'adresse un clin d'œil et un sourire plein de promesses. Je commence à me laisser charmer. Plus tard, en rentrant, je me plante devant le miroir de la salle de bains et je me regarde, en me demandant ce qu'il voit de moi. Bien sûr, je ne prends pas pour argent comptant tout ce qu'il dit, mais tout de même, ses mots ont un effet sur moi. Je me souviens alors ce qu'il disait de la fanfic. Est-ce que ces filles ont rendu réel quelque chose qui ne se serait jamais produit ? Est-ce que ça a marché comme une forte suggestion ? Je regarde mon corps négligé et mon visage aux yeux brillants d'une lumière que je croyais disparue depuis longtemps.

Des souvenirs pas si lointains d'un temps où j'aimais sortir et m'amuser me reviennent. De toute façon, je me repasse en boucle ce rendez-vous, donc je ne peux pas me concentrer sur le jeu. Je me trouve une jupe et un t-shirt, et je sors. 

D'Est en OuestOù les histoires vivent. Découvrez maintenant