Chapitre 5.1 ~ Anna

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J'étais complètement dans les vapes. À peine consciente. J'avais envie de me laisser glisser dans l'engourdissement qui me tendait les bras. J'avais du mal à garder les yeux ouverts. A vrai dire, je n'étais même plus très sûre d'en avoir vraiment envie. Je me souvenais vaguement qu'Alexandre était sorti avec un des gros bras. Depuis combien de temps était-il parti ? Aucune idée. Je flottais dans une espèce de brouillard cotonneux.

Je commençais à ne plus ressentir la douleur causée par mes blessures. J'étais bien, je voulais me laisser aller. Ne plus penser à rien. Rejoindre les ténèbres une bonne fois pour toutes. J'étais fatiguée de me battre. Fatiguée de lutter. Je sentais mes forces m'abandonner. J'étais en train de sombrer lorsqu'un gros bruit me fit sursauter. Une des deux armoires à glace avait ouvert en trombe la vieille porte rouillée en hurlant :

— On bouge d'ici ma belle ! Ton copain a voulu faire le malin, mais mon collègue l'a touché, il n'ira pas bien loin, hé hé !

Quoi ? J'étais trop faible pour parler. Mais, j'avais bien entendu ? Alexandre était blessé ? Non, ce n'était pas possible. Le sort ne pouvait pas s'acharner sur moi comme ça. Je ne pouvais pas le perdre, lui aussi. On venait juste de se rencontrer... Je voulus me débattre, essayer de dire quelque chose, mais j'en étais incapable. Je sentis le sbire me détacher. Il fut obligé de me soutenir car je ne pouvais pas marcher seule.

Ses mouvements brusques réveillèrent mes blessures. Je grimaçai de douleur en maudissant Olivier. Pourquoi m'avait-il donné ces coups de couteau ? Pourquoi me torturer ainsi, et torturer aussi son frère, par la même occasion ? Je ne comprenais pas comment deux frères jumeaux pouvaient en arriver à de telles extrémités...

Pendant que j'essayais de rassembler mes esprits pour penser à tout ça, l'armoire à glace m'emmena dehors. Le gars ouvrit le coffre d'une voiture garée devant le bâtiment. Il me souleva brutalement pour m'y placer de force. Je n'eus même pas le courage de réagir. Il referma le coffre d'un coup sec et brutal. Je n'y voyais plus rien. Je sentais le tapis de sol du coffre qui me grattait la joue. Mon corps me faisait souffrir, ma tête aussi.

J'avais un goût de sang séché dans la bouche. J'avais l'impression que tout ça n'était pas réel. La voiture démarra en trombe. Le chemin était très accidenté et caillouteux. A chaque soubresaut de la voiture, ma tête heurtait le coffre. C'était horrible. J'avais envie de hurler pour que tout s'arrête, mais aucun son ne sortait de ma gorge.

J'étais en sueur. Je me sentais vraiment mal et à l'étroit. Alexandre. Où était-il ? Était-il grièvement blessé ? Ou pire encore ? Non, il ne fallait pas que je pense à ça pour le moment. Pourquoi m'avait-il laissé seule aux mains de son frère ? Pourquoi avait-il tenté de s'échapper ? Mon cerveau n'arrivait pas à réfléchir, et encore moins à trouver des réponses sensées à toutes ces questions qui tournaient dans ma tête. On roulait à vive allure. Au bout d'un moment, la route devint moins accidentée. Le véhicule ralentit un peu. Ma tête cognait un peu moins contre le fond du coffre. On roula encore un moment. Puis tout à coup, on s'arrêta. J'entendis deux portières s'ouvrir. Le sbire qui m'avait balancé dans le coffre l'ouvrit et m'en extirpa sans ménagement. Il faisait presque nuit. Combien de temps avions-nous roulé ? Où m'emmenaient-ils ?

J'essayais de regarder autour de moi pendant qu'il me conduisait vers ce qui ressemblait à un vieil immeuble d'habitation abandonné. Il faisait sombre, je n'y voyais pas grand-chose. L'autre gros bras braquait son arme vers moi. Je n'avais même pas remarqué qu'il était monté lui aussi dans la voiture. On marchait rapidement. Ils ne disaient rien, mais je pouvais sentir leurs regards pleins de colère et de haine. Ils devaient en vouloir à Alexandre d'avoir réussi à s'échapper. J'espérais de tout mon cœur que sa blessure n'était pas grave et qu'il avait pu appeler les secours.

Ils me firent pénétrer dans l'immeuble par une grande porte délabrée. On monta au dernier étage par des escaliers étroits. On entra dans un appartement miteux. Je crus apercevoir un canapé tout troué dans la pièce principale. Mais je n'eus pas le temps de m'y attarder. Ils me conduisirent dans une pièce à côté, plus petite. Ils me firent asseoir sur une chaise et m'attachèrent les poignets et les chevilles avec du gros scotch très serré. Je ne pouvais pas bouger.

Un des deux gros bras mit un bout de gros scotch sur ma bouche. Puis ils sortirent de la pièce sans un mot, en fermant la porte à clé derrière eux. Je n'en pouvais plus. J'avais mal partout. Je m'inquiétais pour Alexandre. Et pour moi. Qu'allaient-ils me faire ? Où était Olivier ? Allait-il encore venir pour me faire du mal ? Malgré la tourmente qui bouillonnait dans ma tête, mes yeux se fermaient tout seuls. J'étais à bout de force. Je me laissai aller. Le silence. Ça faisait du bien.

[...]

Je sentis de l'eau sur mon visage. Quelqu'un ôta le morceau de scotch qui me bâillonnait d'un coup sec et rapide. Aïe ! Je levai les yeux pour apercevoir toujours le même gars, l'air mauvais, avec un verre d'eau à la main. Il m'aspergea de nouveau le visage, ce qui me réveilla totalement. Il me dit méchamment :

— Bois !

Il approcha le verre de mon visage. Je bus jusqu'à la dernière goutte, j'étais assoiffée. Mais j'en voulais plus. Je suppliai :

— Encore de l'eau, s'il vous plait !

— Ta gueule !

Il remit le bâillon en place. Je me retrouvai à nouveau dans le noir, attachée à cette chaise. Sans pouvoir bouger, parler ou encore moins appeler à l'aide. Mon esprit dériva inexorablement vers Alexandre. Avait-il pu appeler la police ? Que faisait-il ? Était-il à l'hôpital ? Il fallait que je me raccroche à l'idée qu'il avait pu s'en sortir et qu'il avait tout raconté à la police. Oui, c'était sûr. Je devais y croire. Il le fallait. Je devais tenir bon.

Cela ne pouvait pas se passer autrement. Le temps passa. Je tendais l'oreille, mais aucun bruit ne venait troubler le silence ambiant. Où étaient les chiens de garde d'Olivier ? Je ne les entendais pas. Pourquoi ? Les heures passèrent. Ou les minutes ? Je perdais la notion du temps. Mes paupières recommençaient à devenir lourdes. Trop lourdes.

J'avance doucement en marchant sur un chemin qui scintille. Je me sens bien, heureuse, légère. Je souris. Je vois des papillons qui virevoltent autour de moi. Je tends la main doucement et l'un d'entre eux se pose dessus. C'est magique. Il reste quelques secondes sur ma paume, puis il s'envole. J'entends le bruit d'une rivière en contre bas, mais je ne la vois pas. Je perçois seulement le bruit apaisant de l'eau qui court, comme une berceuse rassurante. Je continue d'avancer. Je suis attirée par cette très forte lueur au bout du chemin. Au fur et à mesure que je m'en approche, j'entends quelqu'un qui m'appelle doucement :

— Anna ! Anna ! Viens...

Je connais cette voix. J'essaye de me souvenir à qui elle appartient, mais je n'y arrive pas. Je continue sur le chemin. J'accélère le pas. La voix devient de plus en plus claire. Elle m'appelle encore.

— Anna...

J'arrive enfin au bout du chemin. J'aperçois une silhouette qui s'approche de moi. C'est un homme. Il me sourit. Je ne vois pas bien son visage. La voix est très forte maintenant, elle m'appelle sans cesse. Je fais un dernier pas et je le vois enfin. Sébastien. Il est là. Je peux presque le toucher. Il me tend la main. Je lui souris. Je suis tellement heureuse de le revoir après toutes ces années !

— Sébastien, tu m'as tellement manqué...

— Toi aussi, tu m'as manqué ma belle Anna... Tu sais, ça fait longtemps que je t'attends...

— C'est vrai ?

— Bien entendu. Je t'attends depuis toujours. Je t'aime. Viens avec moi.

Les Ombres du Passé ~ Tome 2 ~ Apprivoise-MoiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant