Une plage aux mille mots

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Sous les pieds de Violette, le sable est chaud. Ses chaussures se balancent dans sa main et ses cheveux caressent son visage inexpressif. Le ciel est orange, parfois rouge, et même légèrement rose. Ce soir est différent. Ce soir, elle lève la tête, ses yeux parcourent l'étendue qui surplombe les silhouettes et les pensées du crépuscule. De son autre main, elle tient une bouteille en verre, qui était fondue dans un décor de feuilles derrière son muret favoris sur la plage. Violette ne croit pas au destin. Peut-être est-ce le cas maintenant, après qu'elle ait déroulé le fin papier que contenait la bouteille. D'une belle écriture, elle a lu une simple citation qui a réussi à titiller sa curiosité.

« Les gens ne remarquent les couleurs du jour qu'à l'aube et au crépuscule, mais pour moi, une multitude de teintes et de nuances s'enchaînent au cours d'une journée. Rien que dans une heure, il peut exister des milliers de couleurs variées. Des jaunes cireux, des bleus recrachés par les nuages, des ténèbres épaisses. Dans mon travail, j'ai à cœur de les remarquer. »

Un  homme en quête de toujours plus de nouvelles couleurs.

Depuis, Violette regarde le ciel en rentrant chez elle. Elle n'a jamais remarqué les jaunes cireux, ni les bleus recrachés par les nuages, ni le simple orange de ses soirées. Alors elle observe, observe en marchant. Elle se demande qui est l'auteur de ces mots, s'ils viennent de la main de ce mystérieux expéditeur, pourquoi les avoir écrits, pourquoi les avoir trouvés, elle. Lorsqu'elle ferme la porte de sa chambre, elle n'a qu'une idée en tête : trouver l'origine de ces mots. Quelques recherches lui suffisent pour lui donner un titre ; quatre simples mots qui la conduisent le lendemain à la librairie de sa ville, dans laquelle elle n'était encore jamais entrée. Ces quatre simples mots lui ouvrent le soir-même les portes vers l'aventure qu'ils contenaient. Dans son vieux fauteuil, Violette entre dans le monde des mots qu'un inconnu lui a indirectement présentés.

« Ce n'est pas féerique, et ça ne fait pas rêver », se dit Violette ce soir-ci. « Mais ça touche », se dit-elle la nuit suivante. Ça touche au plus profond de son cœur et de son imaginaire. Ses émotions sont invitées à sortir, à se dévoiler, à bousculer de plein fouet sa routine de lectrice, de rêveuse passive. Alors qu'elle suit attentivement les pas de sa « voleuse de livres », elle rit, elle pleure, elle a peur et elle sourit. En fermant son ouvrage deux jours plus tard, Violette vit. De suite, elle a envie d'écrire, de répondre au papier qui lui a permis cette découverte bouleversante. Elle cherche une citation dans un de ses livres préférés, et ajoute une réponse à celui de l'inconnu.

« Il est difficile de mesurer le temps quand tout, autour de vous, est noir et silencieux. »
Mais...
« Comment ne pas aimer un homme qui non seulement remarque les couleurs, mais en parle ? »

Une femme qui en découvre.

La bouteille nouvellement remplie à la main, Violette longe la plage pour aller travailler. Arrivée à son muret, elle dépose son message là où elle a trouvé le premier, quelques jours plus tôt. Et comme si de rien n'était, elle reprend sa route, les yeux levés vers le ciel bleu, teinté de jaune vanille. Sur le chemin du retour, quand le ciel se réchauffe, sa curiosité la pousse à regarder derrière son muret ; la bouteille n'y est plus. Un sourire naît sur ses lèvres, avec l'idée d'un inconnu profitant lui aussi d'un nouvel univers, grâce à elle. Le lendemain, son sourire s'élargit en lisant de nouveaux mots.

« ma mère m'a toujours dit que les voyages commencent au fond du cœur. »
Cherchez au fond du votre.

Un homme qui remercie... le hasard.

Cette fois-ci, Violette obtient le titre d'une bande-dessinée à partir de cette citation. Elle suit sans hésitation le même schéma et achète l'ouvrage le lendemain matin. « La vie est bien faite ! », se dit-elle lorsqu'elle trouve sans difficulté la bande-dessinée dans la même petite librairie. À son bureau, elle ne peut s'empêcher d'entamer sa lecture, pour l'aboutir sur le chemin du retour. Une nouvelle fois, elle ferme l'œuvre le sourire aux lèvres, les pensées bousculées, le cœur vivant. Rapidement, elle cherche une citation pour répondre à l'inconnu, pour lui recommander une bande-dessinée à son tour.

« Mon mal à moi se nomme le destin, et de cela, on ne guérit pas. »
Ou plutôt l'absence du destin. Peut-être qu'on peut en guérir, de ça.

Une femme qui remercie... quelque chose qui s'apparente au destin ?

Violette laisse sa bouteille au même endroit, sous le ciel bleu et le bas soleil. Devant son ordinateur, la secrétaire ne peut se concentrer, excitée à l'idée de découvrir un nouveau titre d'ouvrage. Elle se sent passive, au bureau, et observe le mouvement d'un œil nouveau, et las. Depuis une semaine, elle quitte toujours les lieux avec précipitation pour flâner sur la plage et rentrer plonger dans de nouvelles émotions. Ce soir, elle retrouve vite la bouteille sous le ciel oranger et le soleil couchant. Un nouveau mot remplace déjà le dernier.

« On ne choisit pas ce qui reste dans nos mémoires, mais je suis sûr que le dernier souvenir qu'on brûle, c'est l'amour. »

Un homme qui aime forcer le destin.

Violette, en commençant la lecture de ce troisième ouvrage, s'attend à une histoire forte. Le lendemain, c'est plus que de la force qui lui a ouvert les yeux. Ce sont des multitudes de mots empreints de couleurs qui lui ont chuchoté au coeur. L'envie de provoquer la même émotion chez son inconnu prend la lectrice, et c'est naturellement qu'elle met une nouvelle citation dans la bouteille.

« C'est comme ça, le deuil et l'amour sont liés, l'un ne va pas sans l'autre. Tout ce que je peux faire, c'est l'aimer, aimer le monde, et célébrer sa vie en vivant la mienne avec audace, joie et courage. »

Une femme qui commence à y croire.

Violette est inquiète, en longeant la plage. Son mot n'a pas encore été vu ; la bouteille était encore à sa place, comme elle l'a déposée. Elle s'est laissé un troisième soir avant abandonner l'espoir de continuer cette mystérieuse routine de découverte. En arrivant à son muret, le soulagement remplit les poumons de Violette en voyant que la bouteille est absente. Puis ses yeux s'écarquillent en se posant sur un livre bleu coincé dans les feuilles. Un post-it cache la couverture, et elle reconnaît l'écriture de son inconnu.

« Même lorsqu'on prétend raconter l'histoire des autres, c'est un peu de soi qu'on parle, non ? »

Un homme qui ne sait pas garder ses secrets.

Violette n'attend pas de lire le titre de son nouveau livre, cette fois-ci offert. Elle décide de sortir un stylo de son sac à main, et de griffonner sur le même post-it, qu'elle colle derrière le muret.

Parlez-moi de vous.

Le lendemain à la même heure, Violette est assise face à la mer. Ses pieds se balancent doucement et frôlent le sable chaud, la brise caresse sa peau. Dans ses mains, elle tripote un petit papier, et une bouteille est posée à ses côtés.

« Le centre du monde, c'est un endroit où tu te sens bien.
C'est le premier endroit auquel tu penses sans réfléchir. » 

Le ciel est mauve, quand des pas se font en entendre derrière Violette. Du coin de l'œil, elle regarde son libraire s'installer à côté d'elle, après avoir posé un roman jaune entre eux. Le vent les étreint, leurs yeux se baladent dans les nuages. Le soleil s'éteint et leurs cœurs se réchauffent, ici, sur cette plage.

« Si quelqu'un demande où nous trouver, dites-lui juste de lever les yeux vers le ciel. »

Pages volatilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant