1. Soif cannibale.

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Mes ongles passaient lentement sur le velours de la chaise du trône, puis petit à petit, je les enfonçai un peu plus profondément, laissant une trace de mon passage. Je comprenais désormais mieux pourquoi les rois et reines aimaient tant se prélasser dans leur gros fauteuil, laissant le petit peuple accomplir les tâches ingrates ; ce fauteuil de trône était sacrément confortable, je ne voulais plus jamais me relever. J'allais finir ma vie dans ce trône, confortablement installée, et personne ne viendrait me décoller d'ici !

— Evite de détruire le mobilier avec tes affreux ongles, merci ! retentit une voix qui me mit immédiatement les nerfs à vif.

— Oh Arachnide, déjà de retour ? T'aurais pu prendre ton temps, je me passais très bien de ta compagnie.

Deux yeux d'un bleu extrêmement clair vinrent me foudroyer du regard. L'Animalis se planta devant moi, et avec mauvaise humeur, envoya sa patte d'araignée voler à quelques centimètres de ma tête, manquant abimer le dossier du fauteuil. Et après elle osait me réprimander sur le soin que je portais au mobilier...

— Chaque seconde qui passe, j'ai envie de t'enfoncer l'une de mes pattes dans ton crâne hideux, siffla-t-elle, alors évite de m'énerver car les accidents arrivent très vite.

Je ricanai avant de la repousser loin de moi. Elle était trop près à mon goût, je n'avais jamais été friande de la proximité avec autrui.

— Qu'est-ce qui t'amène ici ?

Arachné haussa les épaules, grinçant des dents, elle roula des yeux, comme si m'adresser la parole était une corvée dont elle rêvait de se débarrasser.

— Déjà j'aimerais te rappeler que tu es censée garder l'illusion de la reine Zara, et non te pavaner comme bon te semble avec tes affreux cheveux cendrés et ton apparence Evilogrotesque. Il manquerait plus que ta couverture tombe avant même que l'on ne puisse tirer notre épingle du jeu.

— Il n'y a personne dans cette pièce, je n'ai pas envie de me coltiner cette Zara partout avec moi, merci bien, qu'elle reste six pieds sous terre, mes yeux l'en remercieront.

Ma remarque énerva mon alliée.

— On va se faire prendre pour des caprices de gamine ! T'es sérieuse ? Tu vas te balader avec ta véritable apparence sans penser aux conséquences ? Si c'est le cas, prévient moi, que je change de camp, je ne suis pas adepte du suicide collectif.

Je levai les yeux au ciel et dans un geste las de la main, je fis apparaître la reine Zara à mes côtés avant de m'évaporer en cendres imperceptibles.

— Si tu préfères dialoguer avec ta défunte mère, soit, dis-je par le biais de mon illusion.

Arachné contempla Zara qui déblatérait mes propres propos avec une mine dégoûtée.

— Ne crois pas que cela m'enchante, pesta-t-elle, mais je préfère la prudence à la stupidité.

Cela faisait déjà plusieurs mois que je jouais ce petit jeu. J'étais désormais la reine et la deuxième Eudora était officiellement morte. Arachné m'aidait à garder mon rôle. Elle était la personne qui connaissait le mieux l'ancienne reine, elle m'informait de son habituel emploie du temps, me conseillait, me renseignait sur le comportement à adopter afin de rendre mon personnage le plus crédible possible pour que personne ne puisse se douter du subterfuge.

J'étais morte, tout le royaume le pensait. Officiellement, la grande bataille qui avait eu lieu au château avait été emportée par les membres royaux. Ma tête inerte avait été plantée sur un piquet à la vue de tous durant plusieurs jours avant que mes restes ne soient brûlés. Mais la réalité était bien différente, nous n'étions que peu de personne à le savoir. La royauté avait perdu cette guerre et la vraie tête plantée sur le piquet avait été celle de Zara, camouflée par mes illusions. Son corps avait ensuite été brûlé vif et toute trace de son existence avait été effacée.

Obscuras Tome 4 : L'indomptable.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant