Chapitre 1

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— Regrettes-tu tout cela ?

La vieille horloge sonna onze fois, le bruit résonnant dans la pièce silencieuse.

— Bien sûr que oui.

Le cuir du canapé grinçait.

— Est-ce qu'ils te manquent ?

Un petit tintement s'éleva dans les airs lorsqu'un crayon, qui roulait sur la table, tomba sur le sol.

— Évidemment.

Le plancher craquait sous le poids d'une paire de bottes.

— Reviendras-tu ?

Les vêtements de l'homme bruissèrent alors qu'il reposait le crayon sur la table.

— Pour quoi faire ? Il n'y a plus rien pour moi, ici.

Son rire était sombre, différent du ton de quelqu'un qui compatissait.

— Non, il n'y a plus rien. Tu as tout détruit.

Un frisson lui parcourut la colonne vertébrale lorsqu'elle entendit son souffle fin.

— C'est entièrement ta faute. Ne la rejette pas sur moi.

Il rit encore, serrant ses épaules de ses deux mains. Un ricanement plus lourd et plus sinistre que le précédent.

— Ne te mens pas à toi-même, femme.

Elle grimaça lorsqu'elle sentit sa respiration chaude sur sa nuque glacée.

— Je te dis la vérité. Tes mains étaient sur les miennes.

Il pressa ses frêles épaules.

— Je ne faisais que les stabiliser, ma chérie.

Il lui murmura à l'oreille, s'emparant de son menton et l'obligeant à fixer la vue à ses pieds.

Deux corps étaient déposés devant elle. Le sang s'échappait des cadavres, s'infiltrant dans le bois du parquet. Leurs gorges étaient tranchées, leurs cordes vocales et leurs muscles débordaient au milieu des vagues pourpres. Les yeux de la femme étaient révulsés et ses lèvres, séparées par un liquide bordeaux s'écoulant aussi de son nez. Sa main tenait faiblement celle de l'homme à côté d'elle. Lui, son estomac paraissait arraché, ses organes déchirés en lambeaux à tel point qu'on peinait à les identifier. Ses yeux fixaient le plafond, ses iris voilés d'une teinte laiteuse. C'était un horrible tableau que de voir tous ces morceaux de chair écrasés ensemble de cette manière.

L'odeur était putride, le parfum de la chair pourrie imprégnait ses narines. La jeune femme retint un bâillement, craignant que si elle le faisait, elle rejetterait le contenu de son estomac, pourtant presque vide. Son nez se plissa avec révulsion, ses entrailles se retournant face à un tel spectacle.

— A-arrête, elle murmura en gardant les yeux clos alors que son estomac tourbillonnait avec un dégoût total.

— Pourquoi le devrais-je ? répondit-il en saisissant sa mâchoire plus brutalement tandis qu'elle frémissait de douleur. C'est toi qui as fait ça. C'est ta faute. Ton œuvre.

— Ça ne l'est pas ! elle hurla, tremblant sous la poigne de son bourreau.

Celui-ci sourit quand il sentit de chaudes larmes couler sur sa main, contrastant avec sa chaleur. Les siennes.

— Pourquoi refuses-tu de voir ce qui est devant toi ? il demanda d'une voix rauque au creux de son oreille, caressant sa douce joue de sa paume rugueuse.

— Ce n'est pas réel, chuchota-t-elle d'un ton secoué.

Les épaules de l'homme se soulevaient à mesure qu'il gloussait, le son commençant dans un petit ricanement pour finalement terminer en de grands esclaffements hystériques.

— Tu es complètement folle, femme ! il s'écria en agrippant son menton si fermement qu'elle était persuadée qu'elle aurait des marques le lendemain. Il pouvait voir la peur se reflétant dans ses yeux faiblement éclairés, le tremblement de sa lèvre inférieure, son corps se refroidir subitement. Regarde !

— Je refuse, bafouilla-t-elle, relevant son regard pour l'ancrer sur les éclaboussures rouges sur le mur et le balancier de l'horloge qui oscillait d'avant en arrière.

— Tu me résistes, il gronda en attrapant ses poignets.

Elle se débattit, les muscles de ses bras se contractant. Il se moqua de ses tentatives futiles, brisa facilement sa force, puis passa ses mains sur le visage de la jeune femme. Le massacre se voyait à ses doigts maculés de sang, de minces lignes carmin roulant sur sa peau.

— Tu me résistes mais tu portes la preuve de tes actions sur tes propres mains.

— L-laisse-moi seule, gémit-elle.

La pulpe de ses doigts dansait le long de sa peau.

— Oh chérie, il soupira. Je n'ai jamais été là. Après tout... Tu m'as créé.

Elle se retourna vivement, n'ayant plus la sensation de son toucher glacial. Ses épaules tressautaient alors qu'elle sanglotait, serrant les poings et baissant la tête. Le sang sur ses mains n'était plus là. Les cadavres à ses pieds s'évaporaient en un clin d'œil.

Elle se recroquevilla sur elle-même pour tenter de protéger son cœur fragile de son esprit redoutable, effrayant. Elle s'écroula en tirant rageusement sur son cuir chevelu. Elle entendit le carillon de l'horloge résonner.

Un.

Elle sursauta.

Deux.

Elle prit une profonde inspiration.

Trois.

Elle retira lentement ses doigts de ses cheveux.

Quatre.

Elle ouvrit ses grands yeux brillants.

Cinq.

Elle chassa ses larmes du revers de la main.

Six.

Elle fixa les marques en forme de croissant de lune sur ses ongles.

Sept.

Elle lâcha un soupir chevrotant.

Huit.

Elle ramassa le coussin sur le sol.

Neuf.

Elle retira ses chaussures.

Dix.

Elle rabattit la couverture sur elle.

Onze.

Ses paupières se fermèrent.

Douze.

Et elle s'endormit.

*          *          *          *          *

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