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Pas plus ma famille que celle de Corentin n'est du genre discrète ou retenue. Ça explique sans doute qu'elles s'entendent si bien, depuis si longtemps. À grandir dans ce brouhaha perpétuel, Co et moi nous sommes adaptés, chacun à notre manière. Si j'ai développé un certain sens de la répartie (que j'ai à l'évidence perdu depuis quelques années), sa réserve naturelle et son besoin de calme ont poussé Corentin à s'isoler dans une bulle chaque fois que nous sommes en famille. Au final, lui comme moi attendons généralement que les choses se tassent. Il y a longtemps qu'on en a pris notre parti. Il nous suffit souvent de hocher la tête, lâcher un « ha ? » régulier, et d'attendre une accalmie pour pouvoir nous exprimer à notre tour... sauf qu'ils nous entendent, mais ne nous écoutent pas.

En toute franchise, je n'ai jamais eu la sensation d'être comprise ni pleinement acceptée par les miens. Pas plus que Co dans sa propre famille. Peut-être est-ce là le fondement initial de notre complicité : ce sentiment d'être des étrangers au sein des nôtres et la liberté d'être nous-mêmes, toujours, avec l'autre.

Enfin... jusqu'à ce qu'on se mette en couple.

Ce soir, c'est moi qui me retrouve au centre des attentions familiales, et je ne suis pas fan. Comme prévu, j'endure les conseils douteux de ma mère et les remarques de mon beau-père. Tout ça à cause de mon changement d'allure. Oui, je sais que c'est assez radical, mais quand même... mais est-ce que cela vaut ces questions, les regards intrigués et les quelques compliments que j'espère sincères ? Chaque parole, chaque sourire ajoute à mon stress autant qu'à mon plaisir à me sentir moi. Au final, je ne sais plus vraiment si je suis soulagée que personne ne m'interroge sur les raisons de mon changement, ou heurtée qu'aucun ne comprenne qu'une transformation de ce genre n'est jamais anodine. Est-ce que leur affection pour moi est si superficielle qu'ils ne se demandent même pas pourquoi j'ai eu besoin de changer ? Ou bien est-ce que c'est juste l'ambiance de Noël qui noie les choses et pousse nos familles à accepter la nouvelle moi sans question ?

Le regard qui pèse le plus sur moi est celui de David. Mon frère, héros secret de mon enfance ! Celui qui, dès la naissance, a fait tous les bons choix et pris les meilleures décisions ! L'exemple à suivre, la Réussite de la famille ! Si parfait qu'il en est devenu inatteignable. D'autant que ses avis très tranchés et ses idéaux radicalement traditionnels ont fini par nous éloigner l'un de l'autre.

— La robe, OK, elle est sympa, lâche-t-il en se plantant devant moi.

— Je te remercie.

S'il entend ma légère ironie, il n'en montre rien.

David me ressemble peu, physiquement. Il est aussi blond et pâle que je suis brune et halée. Chacun de nous a extrait sa part génétique d'un seul de nos parents, tant pour le physique que pour le reste. Là où j'ai toujours eu une malheureuse propension à la rêverie et un petit grain de folie, David est l'image de la pensée balisée.

— Mais, désolé, ajoute-t-il en fronçant les sourcils, j'arrive pas à trouver que ta coupe te va bien. Pour moi, ma petite sœur a les cheveux longs et bruns, pas autrement.

Je contiens une grimace autant qu'une réplique acerbe, inspire par le nez et tourne la langue dans ma bouche, le temps de trouver une réponse politiquement correcte. Autant essayer de garder une bonne ambiance pour le repas.

— Bah c'est pas à toi qu'elle doit plaire, intervient Co en se plantant près de moi. C'est à...

— Oui, à toi, t'es son mari, admet David en jetant un regard désabusé à la coupe de Corentin.

— Non, à elle-même, rétorque mon ami, un peu sèchement. Juste à elle-même.

Je ne peux retenir un sourire surpris, coule un regard de remerciement à Co. D'ordinaire, c'est moi qui mouche David. Je ne me suis jamais gênée pour lui dire ce que je pensais et il y a fort à parier que mon frère et moi nous prendrons encore souvent la tête à l'avenir. Il n'empêche que la prise de position de Co, assez étonnante, son soutien imprévu dans l'adversité (relative) me fait un bien fou. Il nous soude, me rappelle que je ne suis pas seule. Que je ne le serai jamais.

Des paillettes pour Noël (BxB) (BxG)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant