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Émilie

— Et celui-ci est pour... mamie Jeanne !

Ma grand-mère roucoule de plaisir en prenant le paquet enrubanné que lui tend Albin.

Le pauvre... ça fait quinze ans qu'il est de corvée de distribution, tout ça parce qu'il est le plus jeune ! Il a beau sourire et feindre l'enthousiasme, je vois bien qu'il n'est pas aussi joyeux qu'il devrait l'être. Je comprends que ce soit pesant, cette distribution annuelle de cadeaux... même si j'ai l'impression qu'il y a plus, cette année.

Mon beau-frère n'a jamais été du genre à s'épancher avec moi. Même plus jeunes, nous ne discutions que rarement. Corentin a toujours été mon unique confident et si je sais que les deux frères s'entendent bien et papotent quand ils se voient (moins souvent qu'ils devraient sans doute), ils ne sont pas intimes.

Enfin, ils ne l'étaient pas avant ce soir.

Depuis qu'ils sont rentrés, après leur petit tour à l'extérieur, j'ai surpris des échanges de regards entre Co et Albin, des échanges empreints de complicité et cela remue quelque chose dans mon ventre. Un quelque chose que je refuse de nommer « jalousie », parce que je n'ai aucune raison de jalouser Albin.

D'autant que le plus perturbant, ce n'est même pas ce rapprochement que je sens entre eux deux, mais plutôt les regards entre expectative et réflexion qu'Albin pose sur moi depuis.

Bon sang, Co, de quoi est-ce que tu as bien pu parler avec ton frère ? Qu'est-ce que tu lui as dit ? Pourquoi est-ce qu'il me regarde comme ça ?

Je vais finir par croire que Co lui a tout raconté au sujet de notre non-couple et de l'idée du divorce, pendant qu'ils étaient dehors !

— Celui-ci est pour toi, Émilie.

Je tressaille et tends la main pour récupérer le petit paquet plat qu'il me tend.

— Merci, souris-je.

Je pose le cadeau sur mes genoux, au sommet du petit monticule hétéroclite de papiers brillants et de flots bouclés.

— C'est de ma part, souffle mamie Lucette sans la moindre discrétion. C'est un carré Mercurès en soie. Pour que tu sois élégante quand tu travailles.

— Pas sûr que ça soit raccord avec ta nouvelle coupe, murmure Co tout bas, près de moi.

Il est avachi à mon côté dans le canapé, à moitié ivre. Encore que vu le flou de son regard et l'empâtement de son élocution, on est plus proche des soixante-quinze pour cent que des cinquante. Qu'est-ce qui a bien pu le pousser à se mettre dans cet état ? Okay, connaissant Corentin, le combo « annonce du futur héritier Léavid » — « piques habituelles de son père », ça fait peut-être beaucoup.

Je ne sais vraiment pas quoi penser de cet étrange Noël. L'ambiance est tellement différente des années précédentes ! J'ai l'impression que Co et moi ne sommes pas les seuls à jouer une sorte de comédie. C'est comme si chacun se tenait au rôle qui lui est dévolu depuis toujours, mais sans avoir lu son texte avant la représentation. Est-ce que c'est seulement parce que nous fêtons Noël en avance ? À cause de l'annonce de la grossesse de Léavid ? De mon changement de look ? D'autre chose ?

En tout cas, je me sens plus que jamais extérieure à ma famille et à ce qu'on est censé ressentir à cette occasion. Les regards énigmatiques d'Albin sur moi, ceux de Léa, intrigués et inquiets, sur Corentin... les remarques de ma mère, angoissée que ma nouvelle coupe de cheveux me crée des problèmes à la banque, celles de David qui me comparent à une mauvaise héroïne de manga, sans oublier celles de mon beau-père sur le manque de tempérance de mon meilleur ami...

Des paillettes pour Noël (BxB) (BxG)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant