Depuis une dizaine de minutes, j'étais assis. Stoïque sur le rebord de mon lit. Manches de ma chemise retroussée, sueur courant sur mon visage. Une enveloppe en son nom entre mes paumes. Pourquoi m'écrivait - elle ? Pourquoi après si longtemps ? Une part de moi refusait de l'ouvrir et de réveiller les vieux souvenirs de mon passé que j'avais décidé d'enterrer. Mais ma curiosité était bien trop grande pour refuser une telle chose et de l'enfuir dans mon placard, comme si de rien n'était. C'est avec les doigts tremblants que j'ouvris l'enveloppe en papier kaki et me mis à lire son contenu :
Cher Ruggero,
J'ignore par où commencer. Comme tu le sais je n'ai jamais vraiment été douée avec les mots. Mais ces mots devenaient de plus en plus pesant. Si pesant qu'il fallait que je t'écrive ce que j'ai sur le cœur. Un cœur qui est meurtrit depuis que tu as décidé de le séparer de sa moitié. Mes pensées et mes souvenirs ne montrent que ce restaurant. Ce même restaurant où tu as décidé qu'il n'y aurait plus un "nous".
Mes rêves me montrent sans cesse la même image. Moi assise sur ce comptoir, jambes croisés sur le tabouret. Faisant attention au moindre bruit, même d'une épingle tombant qui résonne dans mon sommeil agités, de la poussière qui s'accumule dans mes cheveux. Le bruit du verre blanc brisé et une ruée de mascara sur mon visage. Avec la seule perspective de voir ta longue silhouette franchir la porte des lieux. Mon dernier souvenir de ta personne fut ton regard. Ce même regard qui était le mirage de bonheur de mes yeux, était devenu ce jour là, leur marre larmoyantes de désespoir. Je suis peut-être dramatique, mais c'est ce que je ressens au plus profond de moi.
Au moment où je t'écris, je ne suis plus la même. Je suis devenue une de ces personnes qui après une séparation n'ont plus la notion du temps. Le jour pour nous consoler et la nuit pour pleurer. Figés dans la tristesse, emprisonnés dans nos souvenirs. Sans tourner la page, sans passer à autre chose. Dans mon cas, surnommée la fille "gelée". Comme paralysée à jamais à l'endroit où mon cœur s'est brisé. Au fur et à mesure, le temps était devenue mon pire ennemi. Filant entre mes doigts. Ma maladie me tuant chaque jour à petit feu.
Au moment où tu lis cette lettre, je ne suis plus qu'une chair glacée et sans vie. Convaincre ta sœur de te l'envoyer au moment venue a été plus difficile que je ne le pensais. Il nous a fallu quelques crient et puis quelques larmes pour qu'elle ne finisse par l'accepter. Et bien qu'elle m'accusait de ne prendre la bonne décision, une part de moi même, peut être égoïste, voulait que tu saches tout ce que j'ai ressentis en ton absence, lorsque je ne serais plus de ce monde. Désormais mes jambes ne seront plus tenace pour venir te dire tout ça en face, mes yeux n'auront plus l'espoir de te voir courir à mon chevet pour m'aimer comme au premier jour. Quant à mon cœur, mourir ou vivre ne lui faisait aucune différence. Il a cessé de battre à l'instant où tu m'as quitté. Il ne battait plus avec cette même ardeur que lorsque tu t'approchais de moi, pour me prendre dans tes bras. Il ne battait que pour se battre de sa survie, malheureusement plus assez résistant pour tenir plus longtemps.
Dès que la lettre sera en sécurité dans les mains de ta sœur, je m'en irais loin avec une infirmière. Dans un endroit où ma maladie ne serait plus un fardeau pour les gens que j'aime. Dans un endroit calme et tranquille. Emprisonné dans mes souvenirs. En peignant et en écrivant. Où je pourrais admirer le crépuscule comme on le faisait autrefois, en pensant à toi. C'est ainsi que je compte vivre ce qui reste de mes maigres jours. Je te souhaite tout le bonheur que je n'ai pas su t'offrir. En espérant que tu trouves un jour une femme qui t'aimeras comme je l'ai fait. A jamais, et Jusqu'à mon dernier souffle.
Karol.
Impossible. Impossible. C'est impossible. Pourtant...j'ai beau relire encore et encore ce papier, les mots sont toujours inscrits dessus. Ces mots que je n'aurais jamais pensais lire un jour. Ces mêmes mots qui subissent l'assaut des perles salées qui roulent en continue sur mes joues.