🥀 Prologue 🥀

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Paradis, fin de l'année 853.

Elle ouvrit lentement les yeux; il faisait sombre et l'air chargé d'humidité était péniblement respirable. Son corps étalé sur le sol dur, elle avait froid...terriblement froid. Seul le tintement rythmique d'une goutte qui s'écrasait sur une surface méconnue venait rompre le silence régnant autour d'elle.

Une, deux, trois...

Où suis-je ? se demandait-elle, privée de sa mémoire.

Au-dessus de son visage, tout près, se trouvait un toit de ciment qui semblait instable. Elle tourna la tête sur le côté aperçut les restes d'un effondrement. Parmi le tas de briques, de terre, et de bois, elle distinguait le bout d'une barre d'acier au sommet tranchant.

Une, deux, trois...

Une violente douleur explosa soudain dans son crâne et les souvenirs l'assaillirent dans un tourbillon infini. Le sous-sol... elle était dans les oubliettes du château. Elle avait été abandonnée dans une cellule quelques heures plus tôt, ou peut-être quelques jours ? Combien de temps s'était-il écoulé depuis qu'elle avait perdu conscience ?

Elle roula sur le côté puis se redressa avec difficulté sur ses jambes douloureuses. Au moment de l'éboulement, elle avait glissé sous le banc de béton dans l'espoir de se protéger d'une mort certaine. Par miracle, la partie du plafond au-dessus d'elle avait résisté aux secousses tandis que l'autre s'était abattue sur les barreaux de sa prison. Un faible rai de lumière se devinait à travers les ruines. Mikasa avançait prudemment vers le faisceau divin, craignant que le reste de la pièce s'effondre sous ses pas. Elle escalada les débris, des bouts de bois pointus lui écorchaient la peau, mais elle continuait d'avancer, laissant derrière elle une traînée de sang écarlate qui s'échappait de ses pieds blessés.

Elle suivait la lumière, toujours plus haut jusqu'à apercevoir enfin le creux qui la reliait au monde extérieur. Elle passa son bras dans l'ouverture et tenta de repousser les décombres pour agrandir cette dernière. Elle fit passer sa seconde main à travers l'orifice puis planta ses doigts dans la terre. Usant de toute la force qu'il lui restait pour se soulever, elle réussit miraculeusement à se hisser dehors.

Le spectacle qui s'offrit à elle lui glaça le sang. Des centaines de cadavres entassés jonchaient le sol... desquels s'échappait une odeur nauséabonde. Elle se couvrit la bouche pour se retenir de vomir face à l'horreur. Elle marchait entre les corps gisants le cœur au bord des lèvres. Certains étaient entiers, toujours munis de leurs équipements tridimensionnels, d'autres démembrés, déchiquetés, si endommagés qu'elle dut détourner les yeux de cette vision insoutenable. Elle trébuchait, se rattrapait puis continuait d'avancer sur un chemin sans horizon, à la recherche de celui qui comptait plus que tout.

- Levi ! Appela-t-elle au centre de cette immensité effrayante. Où es-tu ? Levi !

L'écho de sa voix enrouée résonnait comme un effroyable supplice. Ses cris se faisaient de moins en moins puissants, jusqu'à ce qu'elle s'étouffa en tombant à genoux. Elle prit son visage entre ses mains et se mit à sangloter bruyamment. Au plus profond d'elle, son âme mourait en silence.

Un frisson parcourut sa joue lorsqu'un bout de métal froid effleura sa peau. Ses doigts éraflés avaient pris une teinte bleutée, contrastant avec l'éclat du bijou argenté qui ornait son annulaire gauche. Tremblante, elle tenta de retirer la bague d'un coup sec, mais celle-ci s'opposait à sa volonté. Mikasa s'acharna sur l'objet de malheur, serrant les dents alors que le métal tailladait sa chair boursouflée. Dans un ultime élan frénétique, elle réussit enfin à extraire l'anneau pour le jeter au loin de manière farouche. Suffocante, le cœur brisé en un million d'éclats d'intense désespoir.

Elle ouvrit la bouche pour inspirer profondément mais l'air vicié lui releva tout de suite l'estomac. Elle se pencha sur le côté et se mit à vomir tripes et boyaux. A bout de souffle, elle s'essuya avec la manche de son pull, répugnée par sa propre personne. En baissant les yeux, la malheureuse vit une large tâche de sang souiller sa jupe; son cœur rata un battement. Ce sang... elle savait exactement d'où il provenait, ce n'était pas le sien. Ses larmes coulaient à flot, elle rejeta la tête en arrière et lâcha un hurlement effroyable. Au cœur de l'abîme, elle hurlait à la mort, à son amour perdu, à cette partie d'elle que l'on lui avait arrachée.

Une nuée d'oiseaux traversa le ciel envahi de nuages gris; les charognards avaient senti l'odeur de la mort.

Soudain, l'écho d'un sabot clapotant contre la boue raisonna au loin. Mikasa ne l'entendait que d'une seule oreille, les bras pendants le long du corps, le regard perdu dans le vide.

- Je suis étonné de voir que tu as survécu, Mikasa.

Une voix dont elle se souviendrait sans doute jusqu'à la fin de sa vie. Elle tourna la tête et fit face à son interlocuteur. Perché sur son cheval blanc, le visage couvert d'égratignures, sa cape et son uniforme imbibés de sang. Elle se rendit compte qu'il lui manquait un bras; comment pouvait-il être aussi serein avec une telle blessure ? Il la regardait avec cet air de supériorité dont il ne se détachait jamais, même dans les pires circonstances. Aujourd'hui, Mikasa avait tout perdu, elle refusait de renoncer à l'unique chose qu'il lui restait : sa fierté. Elle se releva en rassemblant toutes ses forces pour se tenir droite devant lui et ancra ses yeux dans les siens, aussi impénétrables qu'au premier jour; puis articula d'une voix glaciale :

- Erwin.

                        A suivre...

 † Disgrace †                             [ Rivamika ] ( NOUVELLE VERSION ) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant