Empire state of mind

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Neuf ans plus tard dans les rues de New York, une jeune femme de 29 ans, vêtue d'un tailleur Maje et des escarpins Valentino, avance droit devant elle et ses boucles dorées font retourner plusieurs passants à sa rencontre.

Pierre lui tend un Moccha Blanc de chez Starbucks fraichement préparé, dégageant une odeur qui lui rappelle un bain moussant sucré.

«C'est pour te faire pardonner de ton absence d'hier ? dit-elle sèchement, je t'ai attendu au loft pendant des heures, tu ne me feras pas oublier ses heures d'attente par un Moccha Blanc».

«C'est ton préféré mon amour, dit-il en la prenant dans ses bras et en lui déposant un baiser pas tout à fait chaste».

Pendant que ses lèvres quittaient les siennes, elle le regardait en se persuadant une nouvelle fois, que vivre avec Pierre à New-York, après l'obtention de son diplôme, était tout ce qu'elle avait toujours voulu.
Elle lui sourit, fit disparaître cette alarme qui grandissait en elle à chaque fois qu'elle se tenait auprès de lui, pour se bercer à nouveau d'illusions en se disant : tout est parfait, oui tout va bien, je ne peux rêver mieux.

« Je te laisse mon amour, je dois me préparer pour ma rencontre de demain, j'ai une présentation à faire pour faciliter les échanges entre Tokyo et New-York, enfin tu le sais déjà, puisque cela fait des mois que je prépare cette rencontre. Ils m'ont spécialement choisi puisque leurs interlocuteurs est lui aussi français.... Espérons qu'il ne soit pas ronchon et qu'il ne vienne pas avec ses ondes négatives.... Il s'appelle L. Jacques Roussel, ce nom de famille me dit quelque chose mais je ne suis pas en mesure de me rappeler à qui il appartient, et puis Roussel est si commun. Anyway .... dit-elle en soupirant, je vais devoir travailler toute la nuit et je ne pourrai donc pas être à la maison. Ne t'ennuie pas de moi mon amour.... »

«Je m'ennuierai de toi chérie tu me connais, dit-il en la serrant dans ses bras puis en glissant l'une de ses mains dans son costard italien pour se rassurer, en touchant une carte électronique d'une chambre d'hôtel, bonne journée mon amour, ne t'épuises pas trop, dit-il».

Ils se quittèrent devant le building où travail Lena au 42ème étage, dont son bureau offre une vue incroyablement laide....
Malheureusement en face d'elle un autre building est en construction, et ce ne sont que des grues qui ponctuent la vue panoramique.

Elle avait travaillé toute la nuit pour sa présentation, elle était à bout de force, et bien évidement, en rentrant chez elle, elle trouve un lit vide, et se demande encore où est Pierre.
A présent elle observe le va-et-vient régulier des grues se trouvant face à elle, en ayant l'impression que ce même rythme monotone a régi toutes les décisions qu'elle avait prises ses dernières années.

Sans passion, mais avec une précision militaire, elle avait obtenu tous ses diplômes et avait terminé major de sa promotion.
Elle s'était attelée à cette tâche de manière contrôlée et assurée. Son passé avait fini par se confondre à son présent et par définir son futur. Ces années d'études avaient fait d'elle une adulte.

Elle avait pris part à cette violence nécessaire ; à cet ennui qu'on essaye de combler par des biens matériaux, des soirées entre amis, des week-ends au soleil et des divertissements inutiles.
Ces rêves avaient laissé place à des plans rigides et calculés. Elle ressemblait de plus en plus à son père et aurait parfois aimé s'évader de la manière dont le faisait si souvent sa mère. Elle n'était jamais contre un bon verre de vin en rentrant d'une grosse journée de travail, mais se refusait toujours à le boire seule.

Pierre était un succès comme un autre sur son parcours universitaire. Ils s'étaient tous deux rapprochés lors de leur stage de 3ème année dans un cabinet réputé de la Capitale. À ses côtés, elle avait eu l'impression d'exister pour la toute première fois. Il représentait à ses yeux ce qu'elle ne pensait jamais avoir ; celle qu'elle ne pensait jamais être un jour pour qui que ce soit.

Leur relation n'était pas passionnelle mais elle lui apportait ce réconfort dont elle avait tant besoin.
Pierre savait où il allait et il ne semblait jamais en douter. Il avait réussi à obtenir une place sur New York dès la fin de ses études et avait par la même occasion proposé à Léna de s'installer avec lui dans son loft de Manhattan sud.
Elle avait accepté l'offre parce que tout cela paraissait logique. Et cette même logique régissait sa vie dès lors.

Mais aujourd'hui, elle ne savait plus trop qui elle était réellement. Son Starbucks refroidissait lentement sur son poste de travail lorsque Géraldine, son assistante, fit intrusion dans son bureau.

« Votre rendez-vous est arrivé. Nous avons installés ces messieurs dans la salle du conseil » lui lança-t-elle de manière très fermée.

Géraldine n'était pas bien méchante, mais elle ne savait pas non plus être gentille. Léna s'en était accommodée. Il n'est jamais simple d'être au bas de l'échelle et certaines personnes essayent de se donner autant de contenance qu'il leur en manque réellement. Léna aurait pu écraser Géraldine à maintes reprises mais n'en avait jamais rien fait.

« Merci Géraldine, je m'y rends de ce pas » lui répondit-elle

La jeune assistante avait un goût vestimentaire bien personnel qui détonnait dans le milieu rigide du droit, mais lorsque cette dernière se retourna pour sortir, Léna fut immédiatement attirée par le dessin des deux ailes violettes sur le T-shirt de la jeune fille.
Peut-être parce qu'elle avait pris soudainement peur de son rendez-vous ou peut-être parce que ses doutes quotidiens commençaient à bouleverser son équilibre, mais à ce moment précis, Léna, grande avocate en droit international, revu Nikmune.

Il se trouvait là devant elle, une aile posée sur sa tête. Instantanément, au fond de son siège en cuire, dans son bureau du 42ème étage, Léna s'apaisa.

Elle lui avait pourtant demandé de partir, de ne plus exister. La dernière fois qu'elle avait eue besoin de lui, il n'avait rien pu pour elle. Son cœur avait été brisé, et ni lui ni personne d'autre n'avait pu l'aider. Elle avait pris la décision ce soir là de revêtir sa carapace. Le coup de foudre n'était que balivernes.
Elle se rappelait de tous les détails de ce fameux jour. Le bras, le café, les toilettes pour hommes et sa disparition. Elle ne l'avait jamais plus revu et pourtant elle l'avait cherché pendant plus de six mois.

Il s'était présenté si rapidement qu'elle n'avait même pas pu retenir son nom. Elle revoyait son regard, ses mains, mais le reste restait flou. Il l'avait abandonné et ce sentiment ne la quittait pas. Elle était pourtant persuadée que leurs destins étaient liés et qu'elle le connaissait déjà. Mais elle n'avait jamais pu répondre à toutes ces questions et avait fini par arrêter de se les poser.

Il faisait maintenant parti de son imaginaire, et elle l'avait mis au placard avec Nikmune et ses souvenirs d'enfance. Mais le petit personnage aux pieds palmés était de nouveau devant elle... qu'allait-il lui arriver ? Le vent de la mer de Vendée semblait de nouveau soufflait sur sa vie. Elle prit soudainement peur.

Y était-elle préparée ? Voulait-elle que les choses changent même si elles ne lui convenaient plus vraiment ?

Géraldine réapparut : « ces messieurs attendent toujours » lui cria-t-elle

« Très, bien, je m'y rends » marmonna Léna, les yeux plongés dans le vide.

Paris, NY and loveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant