Sidération

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Le sang de Léna ne fit qu'un tour. Elle avait des sueurs froides et son champ de vision commençait à rétrécir. Dans son évanouissement, elle entendit la voix de ce petit garçon crier au travers des grilles :
«Annie, Nana ... revenez !».

Nana était son surnom lorsqu'elle était enfant. Ce petit garçon derrière les grilles la connaissait en dehors de ses cauchemars terribles qui hantaient ses nuits, cela devenait évident. Mais Il lui manquait des pièces pour compléter ce puzzle incomplet.

Géraldine vit sa patronne s'évanouir sur son canapé, au travers des portes vitrés du bureau de Léna. Elle en fit tomber sa tasse de thé chaud sur elle et cria de douleur. Alertez par un cri strident, l'ensemble des employés levèrent la tête de leurs ordinateurs, pendant que Géraldine courait vers sa patronne.

La lumière était si forte qu'elle lui brûlait les yeux. Léna se frotta les paupières et vit au-dessus d'elle les yeux de Luc. Elle crut un instant être dans un rêve, car tout était blanc, à part de grands yeux bruns qui la fixaient. Elle murmura son prénom, en tentant de poser sa main délicatement sur son visage.

Une main se posa sur la sienne en retour. Elle n'était pas fine et blanche mais elle avait cette sensation familière à son touché. Plus Léna fixait ce regard comme point d'appui, plus l'éblouissement s'échappait pour laisser place au visage cerné de Pierre.

«Léna ma chérie, c'est Pierre... dit-il d'une voix lourde, Docteur, infirmières, elle s'est réveillée ».

Le médecin arriva et s'assit près de Léna qui ne comprenait pas encore qu'elle était à l'hôpital New-York-Presbyterian. Alors qu'il commençait à l'ausculter en lui posant des milliards de questions, Léna ne l'entendait plus. Elle détestait les hôpitaux et trouvait ces lieux tellement violents. Les blouses blanches avaient un effet sur elle, plutôt vomitif. Elle pensait à toutes ces fois où elle s'était sentie comme un objet, deshumanisée par le milieu hospitaliers et les équipes soignantes.

Elle repensait particulièrement au jour de son appendicectomie. Ses parents étaient encore absents. Elle était seule pour la première fois lors de son 18ème anniversaire. Elle ne souhaitait pas glaner dans les rues de Nice durant l'été. Elle voulait profiter de Paris, se ballader seule dans le Marais, puis dévaliser les Galeries Lafaytette avec la carte bleue de son père. Regarder dans son canapé des comédies romantiques en mangeant des sushis seule, était un bonheur indescriptible. Elle projetait également de lire durant ses vacances des classiques de la littérature anglaise, en version originale et notamment Les Hauts des hurlevents d'Emily Brontë.

Lire seule était un des plaisirs que la vie pouvait offrir, et notamment sans la présence de sa mère. Le simple fait de l'entendre respirer l'agaçait. Non, cette sublime femme de la cinquantaine n'avait jamais rien fait pour elle, en dehors du fait de lui avoir donnée la vie. Cette idée d'être sortie de son ventre paraissait invraisemblable.

Du plus loin qu'elle se souvienne, sa mère n'avait jamais passé plus d'une heure avec Léna, exceptait les neuf mois de la gestation. Leurs seules intéractions se résumaient à des échanges froids et rabaissants tels que:

"Léna tu sais bien que le bleu marine n'est pas ta couleur. Rentre ton ventre cela fait mauvais genre....".


Tout était négatif. Léna n'arrivait jamais à parvenir aux critères prétendues de sa mère. Critères qui n'avaient jamais été explicités clairement, mais dont elle était obligée de répondre.

Qui était cette femme vis à vis de Léna, pour se permettre de la rabaisser et de la reprendre sans ârrêt sur son physique? Dans ces moments d'incohérence et de reproches continuels, Annie la caressait avec douceur dans son dos, sans un mot, mais avec une affection bien présente.

Paris, NY and loveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant