Mémoire 4

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Un étrange personnage

Nous roulions depuis un petit moment déjà. La nuit commençait à tomber. L'inconnu qui semblait si énergique avant notre départ s'était excusé pour immédiatement s'endormir ensuite. J'étais ahuri de la vitesse à laquelle le sommeil lui était venu, surtout avec son comportement quelque temps auparavant.

Pour aucune raison précise à mon esprit, cela m'amusait un peu. Je souriais et ricanais en le regardant dormir la tête soutenue par sa main droite et la vitre de la diligence. Il faut dire que sa bouche grande ouverte et sa respiration forte à la limite du ronflement le rendait assez hilarant. On aurait dit un enfant et pourtant ses traits lui donnait une allure légèrement plus âgée que la mienne.

Enfin, le jeune homme pouvait bien faire ce qui lui chantait. Ce n'était pas mon problème. Cependant je n'étais pas capable de m'empêcher de réfléchir à pourquoi son énergie l'avait quitté si rapidement.

Peut-être qu'il n'avait simplement pas eu la chance de se reposer convenablement dans les derniers jours. Car moi, même si j'avais essayé à cet instant, je n'aurai pas pu fermer l'œil une seconde dans cette énorme boite en bois qui tremblait constamment avec le gallot des chevaux. Et ce n'était pas parce que la fatigue me faisait défaut. Mes interactions avec les foules de la veille et de ce matin-là n'étaient pas encore évacuées de mon système.

N'ayant pas la possibilité de discuter avec qui que ce soit, notre chauffeur étant trop occupé à l'avant, j'observais silencieusement le paysage qui défilait et le coucher du soleil. Maintenant que j'avais dévié de ma route prédéterminée, je sentais en moi que je pouvais méditer plus calmement, comme si les chaînes sur mes poignets s'étaient relâchées. Certes, j'allais toujours vers Émerios où on m'attendait en tant que prince de l'empire. Mais, ne serait-ce qu'une demi-journée et une nuit. Je n'étais plus cette personne. Je respirais enfin librement, je me sentais plus léger.

Je me contentais de ce nouveau sentiment de liberté comme si c'était tout ce dont j'avais besoin pour retrouver l'éclat que j'avais perdu. Je me laissais baigner dedans en me forçant à oublier que mon destin finirait tôt ou tard par me rattraper plus rapidement que je ne le souhaitais. Cette ignorance imposée était complètement inutile et innocente. Elle allait rapidement se retrouver briser par la réalité et m'enfoncer plus profondément dans ma tristesse. Cependant, dans mon état à ce moment, j'étais incapable de me rendre à l'évidence. Je goûtais à quelque chose dont je n'avais jamais fait l'expérience et ne voulait pas penser à l'instant ou cela prendrait fin.

Aujourd'hui, je remarque clairement que j'allais beaucoup plus mal que je ne voulais me l'avouer. Ma force de caractère inconsciente me soutenait avec puissance. Avec elle, je ne risquais pas de m'écrouler pour un rien malgré ma sensibilité et le désespoir dans lequel je me noyais sans le remarquer. En revanche, elle m'empêchait d'avancer vers la véritable libération de la souffrance qui submergeait mon être et mon cœur.

Il allait me falloir beaucoup plus que quelques minutes de méditation et de réflexion dans une diligence pour ouvrir mes yeux. Ce n'était que le début de cette aventure. Les bouleversements ne faisaient que commencer.

« Je vois dans ton regard que tu sembles très tiraillé. » fit alors l'inconnu m'arrachant une exclamation de surprise ni flatteuse ni masculine.

Il rigola à ma réaction. Étonnement, je n'en fus pas vexé. En temps normal, l'égo que m'avait insufflé mon éducation m'aurait fait taire autoritairement cet individu avec l'audace de s'esclaffer comme cela. Les accusations de blasphème d'un membre de la famille impériale auraient aussi suivi si mon père avait été là. Mais je n'en fis rien. Je ne me sentais pas juger négativement par son rire.

Mémoires d'un reflet sur les flotsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant