Mémoire 8

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Comment ne plus servir les démons du passé?

Ce ne fut pas de l'ennui qui m'accompagna durant ce deuxième trajet de train, mais une anxiété profonde, désagréable et sournoise.

En entrant dans ma cabine, après avoir évité le désastre quelques minutes plus tôt, je m'étais effondré sur mon lit pour me recroqueviller sur moi-même. Ma poitrine me faisait souffrir et ma respiration toujours courte et rapide. J'avais l'impression de courir un marathon alors que j'avais simplement fait quelques pas.

Les larmes libératrices ne venaient pas et ma souffrance n'en était que plus forte.

Les voix venimeuses hurlaient encore dans mon crâne des insultes acerbes. Pourquoi me sentais-je si indigne et dégoutant tout à coup? Je pensais avoir outrepassé cela il y a quelques années et voilà que mes démons les plus anciens revenaient me hanter.

Je me sentais me noyer et sombrer dans les confins de mes souvenirs désagréables.

À cette époque, au début de mon adolescence, je cherchais l'approbation de mon père assidument. Je travaillais énormément pour recevoir quelques compliments de sa part. Je m'épuisais souvent entièrement à cause de cette obsession. J'admirais l'illusion de prestance et de perfection qu'il renvoyait. Je croyais dur comme fer que j'allais devenir comme lui si je suivais ses directives. C'était un rêve éveillé qui s'était graduellement transformé en cauchemar. D'abord, il était fier de moi et de mes progrès. En revanche, avec son sens de l'observation beaucoup trop aiguisé, il n'a pas manqué mes regards et mes rougissements un peu trop insistants sur mes camarades dans l'armée. Il avait alors durci son attitude envers moi simplement pour cela.

La première fois qu'il m'avait confronté en exposant tout ce qui était parvenu à ses yeux et ses oreilles, j'étais abattu. À 14 ans, le monde un peu insouciant que j'avais connu se fracturait et éclatait comme si on y lançait violement une pierre meurtrière. Les fragments coupants de ce songe d'innocentes volontés tranchèrent ensuite mon âme déjà meurtrie.

Mais je ne voulais pas voir la vérité en face. Comment mon propre père pouvait me haïr pour une raison si insignifiante à mon avis? J'avais vainement continué à tenter de le satisfaire. Un an d'effort infructueux! Ce n'était jamais assez, j'observais encore trop les garçons, il fallait que je m'entraîne et que je révise toujours plus pour oublier ma perversion, pour ne pas divaguer, pour intégrer l'attitude et les mœurs de mon rang. J'avais tellement peur de le décevoir durant cette période que j'angoissais sans cesse. Je n'en dormais presque plus et l'appétit me fuyait tel la peste.

Ma sœur m'implorait d'arrêter cette folie qui, selon elle, me tuait. Ma mère commençait à s'inquiété aussi de mon état. Mais mon impérial paternel ne disait rien. Mon martyr n'était pas suffisant, rien n'était suffisant à son goût. Tant que mes yeux déviaient sur les garçons qui m'entouraient, je n'étais pas son successeur idéal.

Un jour, je venais d'avoir 15 ans, mon corps ne le supportait plus. Pendant qu'il me punissait une énième fois que je culpabilisais et paniquais, je m'évanouis sans préavis. J'avais été malade pendant toute la semaine suivante, alité et incapable de marcher sans aide. Cassandria, c'est le nom de ma grande sœur, était furieuse. Elle prit ma défense et réprimanda viscéralement mon père. Sa furie était incommensurable et elle avait permis de réduire légèrement les piques de l'empereur à mon égard.

Il savait que sa fille aînée n'allait pas hésiter à faire de la résidence impériale un véritable enfer pour lui si cela pouvait me soulager un court instant.

Cependant il était trop tard. Les dommages avaient été fait. Ma haine contre mon père et mon rôle commença à ce moment.

Cette colère protectrice ne me quitta pas, puisque mon environnement, le palais, ne changeait pas. Je n'en sortais jamais. Toutes autres émotions à part la tristesse, l'épuisement et la rage n'existaient. Grâce à elle, j'oubliais mes blessures, mes faiblesses et mon sentiment d'être indigne et anormale.

Mémoires d'un reflet sur les flotsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant