Chapitre 16 : Bifurcation

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Mélyan s’étira longuement, que cela faisait du bien de se reposer pleinement. Elle bailla à s’en décrocher la mâchoire. Après un court instant de pure bonheur son corps lui signala plusieurs troubles. Elle avait mal à la tête ainsi qu’à la gorge. Une sorte de fatigue, différente de celle qu’elle connaissait, s’emparait d’elle. Elle fut prise de frissons et s’enroula, en tremblant, dans la couverture. Lorsque l’odeur délicieuse d’Estelle lui parvint elle se rappela où elle se trouvait. Evidemment, la maitresse de maison ne se trouvait plus à ses côtés. Il faisait encore jour, elle se demandait depuis combien de temps elle dormait dans le lit de sa thérapeute. Elle dépassait décidément les limites. Elle resta quelques minutes de plus s’imprégnant de cette odeur apaisante. Elle ne voulait pas quitter le lit confortable,  pourtant elle devait rendre sa liberté à Estelle et rentrer chez elle. Elle repoussa les draps d’une main faible et se leva hors du lit. Elle chancela jusqu’à la porte, elle ne se sentait vraiment pas en forme. Peut-être était-ce dû à un sommeil trop profond et qu’elle ne parvenait pas à se réveiller. Elle descendit les marches avec prudence. Quand elle arriva au rez-de-chaussée elle fut prise d’un vertige et se retint contre le mur. Que lui arrivait-il ? La voix d’Estelle lui parvint dans son dos. Elle se retourna, la brune se trouvait au milieu de son salon. Elle tenait une cafetière dans sa main droite et une tasse dans sa main gauche. Vêtue de la même manière que lorsqu’elle était arrivée.
-         Tu es réveillée. Ca va ? Tu ne sembles pas dans ton assiette.
-         Il n’est pas un peu tard pour boire du café ?
Sa voix lui parvint éraillée et voilée.
-         Il n’y a pas d’heure pour boire un café. Je t’en sers un ?
-         Non merci, avec ça tu peux être sûre que je ne me rendorme pas. Merci de m’avoir prêté ton lit. Je vais rentrer et te laisser la soirée de libre.
Elle se tourna pour remettre ses chaussures tout en luttant avec un nouveau vertige.
-         Mélyan, je dois te dire…
-         Oui ?
-         Tu as dormi avec moi toute la nuit.
-         Quoi ? Mais non cela ne fait que quelques heures que je suis ici.
-         Non Mélyan. Tu as passé la nuit chez moi. Je n’ai pas réussi à te réveiller. J’ai même hésité à te déshabiller pour que tu sois plus à l’aise mais je me suis ravisé.
-         Merci de ne pas l’avoir fait. 
-         Tu n’as pas diner hier soir vient manger un peu.
-         Je n’ai pas faim…
-         Tu as vraiment une petite mine. Viens manger.
Elle finit par se laisser convaincre et se dirigea vers la table. Elle prit place devant une tasse fumante de café. Estelle lui ajouta son nuage de lait et elle prit une gorgée douloureuse.
-         Alors ? Bien dormi ?
-         Plus que suffisamment.
-         Je ne suis pas étonnée tu as dormi près de dix-sept heures.
-         Quoi ? Il est quelle heure ?
Elle releva la tête éberluée. Estelle tenait sa tasse devant sa bouche et lui indiqua une grosse horloge en fer sur le mur sur sa gauche. Elle prit connaissance de l’heure et se leva d’un bond. Elle indiquait dix heures. Elle se retint à la table pour ne pas chanceler sous le regard d’incompréhension d’Estelle.
-         Je te remercie pour ton hospitalité.
Puis elle se dirigea vers l’entrée pour prendre ses affaires.
-         Mélyan que fais-tu ?
-         Je suis en retard au travail.
-         Ce n’est pas si grave que ça, j’expliquerais que tu avais besoin de repos.
Elle enfila sa veste et passa la porte. Tout en se dirigeant vers sa voiture, elle fouilla dans son sac à main.
-         Mélyan !
Une main sur la portière elle remercia Estelle.
-         Encore merci.
-         Nous pouvons y aller ensemble.
-         On se retrouve là-bas alors.
-         Je t’interdis de monter dans cette voiture !
Le temps d’un instant elle hésita. Elle ne savait pas résister à ce ton qu’Estelle employait. Elle devait lutter contre elle-même pour lui désobéir. Elle finit par monter dans sa voiture, contre sa propre volonté, et la démarra. Elle fit une marche arrière et se dirigea vers le portail. Rien ne lui garantissait que sa charmante thérapeute veuille bien lui ouvrir. Elle pensait avoir perdu une nouvelle manche mais l’ouverture de cette étendue en fer noir la démentit. Elle avait gagné ! Elle sortit sa main de sa fenêtre pour remercier Estelle d’un geste.
Elle arriva sur son lieu de travail plusieurs minutes plus tard. Son mal de tête se faisait de plus en plus puissant et les frissons avaient laissé place à des tremblements. La journée serait longue… Elle arriva à son bureau et se laissa choir sur sa chaise. Elle alluma son ordinateur pour consulter l’ordre du jour. Elle rafraîchit plusieurs fois la page mais elle resta vierge, elle n’avait pas de mission de programmée. Elle s’agaça et ouvrit un dossier qu’elle n’avait pas fini et tenta de s’y plonger. Son téléphone vibra dans son sac, elle le sortit et fut surprise de voir que plusieurs personnes avaient cherché à la joindre. Elle envoya un message à son frère pour le rassurer qu’elle été bien vivante. Et répondit à Paul qui s’excusait d’avoir informé son frère qu’il ne l’avait pas vu rentrer. Elle ne lui en voulait pas, elle savait à quel point son frère pouvait être intimidant. Après les avoir rassurés elle ouvrit le message le plus récent. Estelle avait écrit :
 
« Tu es bien arrivée ? »
 
Elle lui répondit dans la foulée.
 
« Tu n’as pas pris ma suite ? »
 
Elle posa son portable et se rendit devant le bureau de Madame de Montmay. La porte était ouverte et personne ne se trouvait à l’intérieur. Elle devrait attendre son retour pour lui faire part de sa surprise. Elle retourna à son bureau. L’écran de son téléphone était illuminé, elle le consulta.
 
« Je viens de partir. Tu me préviens si tu as une mission ? »
 
Elle ne prit pas la peine de répondre. Si elle voulait savoir elle viendrait le lui demander.
 
Quelques heures plus tard, en revenant des sanitaires, elle remarqua que la porte de Madame de Montmay était fermée. Elle devait être revenue. Ayant consulté son ordinateur juste avant de se rentre aux toilettes elle se rendit directement dans le bureau de sa supérieure. Elle frappa à la porte.
 
-         Entrez, invita la voix incisive de Clodine de Montmay.
 
Elle ouvrit la porte et pénétra lentement dans le bureau. Elle la referma et s’avança avec prudence au centre de la pièce.
 
-         Mélyan, en quoi puis-je t’aider ? Demanda la femme sans lever les yeux de ses dossiers.
 
Comment savait-elle qu’il ne s’agissait pas d’un autre Empathiste ?
 
-         Bonjour Madame. Je me suis permise de venir vous importuner. Vous n’êtes pas sans savoir qu’Estelle, enfin Madame Notam, est revenu de son congé maladie ?
-         En effet.
-         Je n’ai pas de mission pour aujourd’hui… je me demandais si vous ne m’aviez pas oublié ?
-         J’étais justement en train de regarder ce que j’avais pour toi.
 
Madame de Montmay lui accorda enfin un regard. Elle se recula dans son siège, surprise, une main sur son cœur.
 
-         Madame ? Vous allez bien ? On dirait que vous avez vu un fantôme.
-         En effet je te vois, toi.
-         Je vous demande pardon ?
-         Ma chère… tu te sens bien ?
-         Je dois avouer que je ne suis pas au mieux de ma forme.
-         Tu es livide.
-          Mais je vais bien. Je peux assumer cette journée de travail.
-         J’ai bien fait de ne pas t’avoir réservé de mission. Mélyan, mon enfant, à la vue de ton état je dirais que tu as de la fièvre. Tu ferais mieux d’aller voir un docteur et de rentrer chez toi.
-         Madame, vous m’avez renvoyé chez moi bien trop de fois cette semaine.
-         Si tu prenais soin de toi je n’aurais pas besoin de le faire. Je ne veux pas de réponse, tu rentres chez toi.
-         Mais…
-         Mélyan ! Je ne supporterais pas ton insubordination plus longtemps. Tu obéis et tu vas te soigner. Je vois bien que tu ne te sens pas bien du tout. Va te reposer et tiens-moi informé de ton état. Tu reviendras seulement lorsque tu seras guéri et c’est non négociable
-         Madame.
Elle lui adressa un signe de tête et sortit de son bureau. Elle ne résista pas et rassembla ses affaires. Il ne lui servait à rien de luter elle n’aurait pas le dernier mot. Avant de rentrer chez elle, elle devait prévenir Estelle de son départ. Elle prit l’ascenseur, pour une fois. Ce fut justement ce qui lui porta préjudice. L’ascenseur se trouvait devant les escaliers et elle avait l’habitude de tourner à droite. Ce qu’elle fit ce jour, inversée elle tourna en réalité à gauche. Elle longea le couloir et pénétra dans le cabinet. La secrétaire n’était pas présente. Elle devait être sur un autre poste, après tout Estelle n’avait pas besoin d’elle. Elle pénétra dans le bureau de sa belle thérapeute sachant qu’elle ne la dérangerait pas. Et elle fut frappée par ce qu’elle découvrit. Elle resta figée, la main sur la poignée, le regard rivé sur le petit bonhomme. Le docteur Zoal se trouvait devant elle et visiblement en pleine forme. Un autre vertige la saisit, elle manqua de défaillir. Pourquoi ? Pourquoi était-il ici ? Ils lui avaient mentis ? Pourquoi ? Pourquoi ne voulait-il plus la suivre ? Elle s’appuya contre le battant en bois, son cœur déchiré par une trahison.
 
-         Mélyan, finit par dire le vieil homme.
-         Pourquoi ?... Dit-elle les larmes aux yeux.
-         Je n’y suis pour rien. Madame de Montmay m’a demandé de ne plus vous suivre et de laisser la place à ma comparse. J’ai ouïe dire que tout se passait bien avec elle.
-         On s’en fout de ça. Je pensais que nos séances avaient du sens pour vous autant que pour moi.
-         C’était le cas Mélyan mais vous devez reconnaitre que cela ne vous aidait pas tant. Vous avez besoin d’une réelle thérapie et je n’ai pas réussis à ce que vous vous confiez à moi. C’est un tort personnel et vous n’y êtes pour rien.
-         Vous auriez dû m’expliquer au lieu de me mentir et de me faire croire que vous étiez malade.
-         Nous avons établi tous les trois qu’il valait mieux, pour le début du moins, vous faire croire que je ne pouvais pas assurer nos séances. Ainsi il y avait une chance que vous laissiez justement la chance à Madame Notam de prendre sa place.
 
Elle ne savait plus quoi dire. Elle comprenait leur raison, et le pire, elle était d’accord avec lui. Pourtant elle était vraiment blessée que personne ne lui faisait suffisamment confiance pour l’informer de la vérité. Elle était énervée qu’une fois de plus on décidé à sa place. Elle hocha frénétiquement de la tête.
 
-         Bonne journée, Docteur.
-         Mélyan…
 
Puis elle referma la porte et quitta le cabinet. Longeant le couloir, les yeux embrumés de larmes, le corps bouillant. Les vertiges et son mal de tête se faisaient plus intenses à tel point qu’elle ne remarqua pas la personne qui se dirigea droit sur elle. Cette personne la prit par le coude et la soutint, l’accompagnant jusqu’à l’ascenseur. La voix d’Estelle résonna dans son oreille.
 
-         J’espère que tu rentres. Tu es fiévreuse.
-         Parce que tu en as quelque chose à faire de moi ?
-         Bien sûr…
-         Mentir ne fait pas parti de mon idée d’en avoir à faire de quelqu’un.
-         Mais de quoi tu parles ?
 
Elle la repoussa avec force. Enfin elle essaya. Estelle recula de quelques pas, plus surprise de ce geste que par sa réelle force.
 
-         Je viens de voir le docteur Zoal en parfaite santé. Tu m’as mentis !!
-         J’en suis navré mais c’était la meilleure chose à faire.
-         Seulement parce que cela vous arrangeait. Tu comptais m’en parler quand ?
-         Bientôt, tu viens seulement de t’ouvrir à moi. Je ne souhaitais pas précipiter les choses. Je ne souhaite pas que tu te fermes de nouveau.
-         Il fallait y penser plus tôt !
Elle appuya sur le bouton de l’ascenseur.

-         Essaie de comprendre.
-         Comprendre quoi ? Que je ne suis pas prise suffisamment au sérieux ?
-         Ce n’est pas la raison de tout cela Mélyan.
-         Qu’elle est-t-elle ?
-         Ton bien être.
-         Je me débrouille très bien toute et tu n’es personne pour me faire croire le contraire.
-         Je pensais pourtant que nous commencions à nous rapprocher. Je te prie de me croire, je n’allais pas tarder à t’avouer cette stratégie pour prendre soin de toi.
-         C’est trop facile.

Les portes s’ouvrirent, elle entra dans le petit habitacle. Elle avait mal à la gorge et aux poumons, il lui devenait difficile de respirer.

-         Je n’en ai pas envie.
-         Mélyan… s’il te plaît…

Les portes se refermèrent sur la thérapeute. Elle ne souhaitait plus lui faire confiance. Elle ne voulait plus la voir. Elle se sentait trahit. Un pincement au cœur serra sa poitrine. Elle ne voulait pas la rejeter. Elle devait se l’avouer, elle tenait à elle. Mais à cet instant elle se sentait incomprise. Elle espérait avoir la force de lui pardonner. Faites que sa puérilité saurait se faire discrète. Les vingt minutes qui passèrent furent incroyablement automatique. Elle ne comprit pas comment elle avait fait pour rentrer chez elle tant les vertiges et les tremblements étaient puissants. Par chance il n’y avait personne dans les rues et elle n’eut aucun accident. Quand elle fut rentrée elle salua rapidement Skeeny, pauvre petit, il ne l’avait pas vu depuis plus de vingt-quatre heures. Elle lui changea son eau, lui redonna de quoi manger et le gâta de friandises. Puis elle alla s’effondrer dans son lit

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