Prologue (scène à lire)

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- On annonce un fiacre au portail, lady Norrington.

Lady Georgina Norrington leva la tête de son livre et posa sa tasse avec brutalité. Elle attendait son petit-fils, mais pas aussi tôt.

- Mais enfin, on ne dérange pas quelqu'un à l'heure du thé. Quelle impolitesse ! C' est sûrement mon petit-fils, il vit comme un véritable français celui-ci. Elle marqua une pause et se calma.

Faites le entrer Edward et dites lui de monter me rejoindre, je suis trop faible pour descendre au petit salon.
Le majordome referma la porte après une brève révérence et descendit dans le hall où il ordonna à deux valets d'aller ouvrir les grilles.
Lady Norrington se remit à siroter son thé en repensant à ce qu'elle allait dire à son petit-fils. Lorsque celui-ci arriva.

- Bonjour grand-mère, s'exclama t'il en lui déposant un baiser sonore sur chaque joue. Comment allez-vous depuis le bal des Delacroix ? Il ne lui laissa pas le temps de répondre et enchaîna sur une autre question. Etes vous au courant que les Lefèvre en donnent eux aussi une ? Oui, évidemment que vous le savez ! Rien ne vous échappe jamais. Et justement, pour cette occasion, je vous ai apporté une surprise.

Il posa alors sur la table une très jolie boîte blanche, entourée d'un ruban mauve qui formait un nœud sur le dessus.

Lady Georgina était habituée à la familiarité avec laquelle son petit-fils la saluait mais elle en restait chaque fois, outrée. Comme sa grand-mère ne semblait pas disposée à déballer son cadeau, James s'en chargea et en sortit une superbe robe verte, à la coupe parfaite et sertis de petits diamants sur le col montant.

-J' aurai pu la choisir plus échancrée mais je connais votre goût pour la pudicité. D'autant que la couturière s'est montrée très complaisante et...

- James, voulez-vous m' assommer ? le coupa t-elle, les yeux écarquillés.

Celui-ci fit non de la tête, le sourcil interrogateur.

-Alors cessez de parler, bon dieu ! Je n'arrive même plus à m'entendre penser.

Son petit-fils éclata de rire, rangea la robe dans sa boite et s'appuya à la table en regardant Lady Norrington avec amusement.

-Chère grand-mère, il n'y a pas si longtemps encore, vous me suppliiez de me confier à vous, d'être plus proche et aujourd'hui je vous empêche de penser. C' est un comble ! s'exclama t il dans un rire moqueur.

Elle avait bien envie de lui répondre que son jactage inutile n'était pas exactement ce qu'elle escomptait mais Lady Norrington avait des choses bien plus importantes à régler avec lui et le pria de s' asseoir.

-James, mon garçon, j'ai quelque chose d'important à te dire, quelque chose qui ne va pas te plaire. Elle s'interrompit. Je veux que tu te maries.

Ce n'était pas non plus exactement ce par quoi elle voulait commencer mais c'était devenu un sujet aussi épineux que courant dans leurs discussions. Aussi James n'y prêtait même plus attention.

- Avec une nouvelle pareille, vous auriez, au moins, pu me proposer un thé. C' est vrai, c' est si soudain, se moqua t-il.

Georgina voulut se lever mais ne réussi à faire qu' une grimace. Elle resta assise, regarda le jeune homme dans les yeux, hésita. Elle ne pouvait se résoudre à lui annoncer la triste nouvelle, qui allait certainement l'anéantir. Tout était trop brutal mais cela faisait des semaines qu'elle lui mentait, il était temps, pensa t-elle.

- Je suis malade, James, lâcha t-elle finalement. Les médecins sont peu optimistes.

-Vous plaisantez, vous êtes aussi vivace que moi, ce n'est pas possible, répondit James qui n'y croyait pas, qui ne voulait pas y croire.

Lady Georgina détourna le regard.

- Détrompe-toi. Je passe mes journées dans ma chambre et je ne peux même plus me lever sans aide. C'est une maladie des os et il n'y a pas de traitement. Les médecins sont formels.

-Alors faites en venir d'autres, de d'autres pays, de partout !

- À quoi bon ? Je suis une vieille dame..à quoi bon me fatiguer encore plus ?

James se leva et se planta devant la fenêtre, dos à la table.

-James, je t'en prie. Pour ma part, je l'accepte et...

-Quel est le rapport avec le mariage? la coupa t il sans se retourner.

Georgina s'en voulait de le faire ainsi chanter mais c'était bien le seul moyen de marier ce coureur de jupons.

- C' est ma dernière volonté. Pour toucher ton héritage, tu dois te marier, expliqua-t-elle.

Cette fois James se retourna complètement.

-Vous me faites chanter ! Le dernier membre de ma famille me fait du chantage avant de me quitter, s'énerva-t-il, vous êtes vraiment prête à tout. Je méprise tant votre...votre... que j'en perds mes mots. Il se dirigea vers la porte. Gardez-le votre héritage, à ce prix et dans ces conditions, je n'en veux pas, déclara t' il en empoignant la poignée.


Georgina resta longtemps à fixer la porte par laquelle James avait disparu. C'était sans doute la visite la plus expéditive qu'il lui ai faite depuis longtemps.
Il lui en voulait mais il reviendrait vers elle. Comme toujours. Même s'il pouvait être impulsif, la loyauté de son petit-fils n'avait d'égal que son sens de la famille. Une famille, c'est ce que Lady Georgina souhaitait laisser à James. Il ne semblait pas prendre la mesure de sa future solitude, une fois sa grand-mère partie. Il comprendrait, il la remercierait, songea t'elle, sans doute sur sa tombe d'ailleurs.
Lady Georgina aperçut son reflet dans le miroir, ses cheveux argentés et son visage fatigué. Que le temps avait passé vite.



En quittant le domaine Norrington, cet après-midi là, James décida de se rendre dans un de ces repaires malfamés où l'on joue aux cartes tous le jour et toute la nuit.
Furieux, il avait besoin d'évacuer. Rien de mieux alors que quelques diables à plumer ou encore quelques tricheurs prêts à recevoir ses poings rageurs.

-Rob, ramènes le fiacre ! Je pars à cheval.

Le cochet acquiesça tandis que James enfourchait son étalon. Le jeune homme ne se déplaçait que très peu en voiture, seulement lorsqu'il y était obligé, comme pour aller voir sa chère grand-mère qui l'exigeait ou lorsqu'il se rendait aux réceptions. Aussi, son cheval était toujours du convoi, au cas où l'envie ou en l'occurrence, le besoin, d'une balade le prenait.
Sans demander son reste, il s'élança au galop dans un "YA" tonitruant. Seul le martèlement des sabots de l'étalon résonnaient encore dans la cour quand Rob donna un coup de fouet, faisant doucement s'ébranler l'attelage à sa suite.
A cette allure, James arriverait à la capitale en moins d'une heure.
L'air frais fouettait son visage, l'anesthésiant quelque peu. Ce n'était malheureusement pas le cas de son cerveau qui tournait à plein régime."Qui avait t'il de si extraordinaire à se marier ?", "Que ferait- t il sans sa grand-mère, sa seule famille en France ?" et aussi horrible fut la question finale à ses tergiversations "Que ferait-t-il sans son héritage ?".
Bien sûr, aujourd'hui, il gagnait honnêtement et fort bien sa vie mais tel ne fut pas toujours le cas. En effet, après la mort de ses parents, James avait eu accès à beaucoup d'argent, très jeune..trop jeune. Que ce fut à cause de son chagrin ou à la folie de la jeunesse, lorsqu'il s'installa en France, il flamba tout.
C'était sa grand-mère, Lady Norrington, alors veuve du Duc de Bouvier, éminent aristocrate français, qui l'avait fait venir . Mais hélas, elle ne put jamais calmer les excès de cet enfant rebelle. Quand jeunesse fut passée, il ne resta plus à James que quelques terres et quelques actions dans des sociétés anglaises. Il fit intelligemment fructifier cet argent et pouvait désormais vivre aisément.
Mais des années de débauches laissent des traces et des dettes conséquentes restaient encore à payer. Il comptait donc sur son héritage.
Les idées plus noires que jamais, James fonçait sur les chemins de terre défoncés, en grommelant et jurant après le ciel.

L'art et la manièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant