Elle s'assit sur la chaise, devant l'ordinateur allumé. La musique tournait en fond, doucement. Ce n'était pas forcément de la musique que l'on pourrait appeler calme mais elle appréciait les sonorités qui s'en dégageaient.
Elle mit son téléphone en silencieux, tourna toutes ses notifications en muet et se mit bien droite.
C'était l'heure.
Elle faisait partie d'un groupe d'auteurs et ce soir s'était organisé, comme parfois, un rush d'écriture. Elle connaissait les « règles ». Une limite de mots, un temps donné et généralement sujet libre.
Ce soir, elle avait décidé de changer de registre. D'habitude, elle écrivait des contes ou des nouvelles horrifiques. Mais ces derniers temps ont été un peu compliqués pour elle, donc elle décida d'en parler.
Ses doigts volaient à un rythme plus ou moins régulier, corrigeant les fautes de frappe qu'elle faisait souvent, cliquant aux endroits coquillés pour ensuite reprendre là où elle s'était arrêtée.
Dans ce texte, elle décrivit d'abord son absence de faim. Elle n'avait pas mangé ce soir encore et savait qu'elle se ferait engueuler pour ça. Cette idée la fit soupirer un peu. Mais ça lui montrait qu'on s'intéressait un tant soit peu à elle, donc quelque part ça la réchauffait. Dans ce corps froid qu'était le sien.
Ça oui, pour avoir froid, elle était presque gelée. Même le thé qu'elle buvait en grandes quantités ne la réchauffait plus. Pourtant, c'est la seule chose qu'elle pouvait supporter. Elle avait fait récemment les courses mais juste regarder ses placards avec quelque chose dedans l'écœurait et la forçait à refermer aussitôt la porte.
Puis elle parla de son absence d'envie. La vie n'était pas forcément mauvaise en soi, mais pas vraiment des plus réjouissante non plus. Elle avait un immense rien dans sa tête quand on lui demandait ce qu'elle voulait faire comme métier. Quand on lui demandait ses rêves aussi.
On lui avait apprit que ses rêves n'étaient pas forcément les plus simples, on lui a répété de se taire, on lui a démontré par tous les moyens possibles qu'elle ne le ferait jamais. Et elle a écouté. Parce qu'elle ne sait faire que ça.
Cet immense rien qui l'habitait n'était, en fait, pas rien quand elle y réfléchissait. C'était du noir, du sombre. Elle flottait en plein dedans. Sans savoir où était le haut, le bas, la droite ou la gauche. Elle avait la sensation de tomber à l'infini dans cet espace obstrué. Sa tête était pleine, oui. Mais pleine de rien, d'inutile.
Elle crevait d'envie quand elle voyait ses amies en couple. Quand elle voyait ces gens qui s'aimaient d'un amour beau et sincère. Elle, ne pensait qu'en être une pâle copie, une façade, un postiche, un charlatan. Pourquoi tout ce qu'elle faisait semblait si faux ? Pourquoi tout ce qu'on lui disait, ce qu'on lui montrait semblait si joué, si forcé ? Comme si la personne le faisait parce qu'elle le devait et non pas parce qu'elle le voulait ?
La réalité n'est pas souvent celle que l'on croit.
Elle en était bien consciente. Il n'y a pas longtemps, elle s'était entaillé les poignets dans l'eau chaude de son bain. Ses parents l'avaient retrouvée et emmenée à l'hôpital. Ils ont fait tout leur possible et maintenant la voilà ici. Elle eut un faible sourire.
Sa petite sœur qui jouait dans le couloir se leva, intriguée. Elle ouvrit la porte de sa chambre. Personne en vue à part l'ordinateur d'allumé et une douce musique en fond. Etrange.
Elle aurait juré entendre des bruits de clavier. Elle s'approcha de l'écran allumé et lu ce qui y était marqué avant d'aller voir ses parents.
C'était son dernier mot à elle. Celui qui résumait toute sa vie.
Pardon.