Elle venait le visiter chaque semaine. C'était devenu une habitude entre eux. Elle venait, il lui posait des questions, puis elle repartait chez elle.
Il savait tout d'elle. Sa vie, ses amours, ses emmerdes. De quoi pouvoir en faire quelque chose.
Il se pencha pour prendre une feuille, préparant la prochaine visite. Il nota la date, le nom et l'heure d'arrivée. Puis il se mit confortablement sur le fauteuil, avec un stylo en main et attendit patiemment qu'elle se présente à la fenêtre de la porte qui lui faisait face.
Elle était pile à l'heure, comme toujours. L'approcher n'avait pas été une mince affaire. Toujours ailleurs, pas dans le présent. Puis leurs regards s'étaient croisés. Leurs langues s'étaient déliées. Pas d'amour ici, juste un être qui avait besoin d'écoute et un autre qui pouvait la lui fournir.
Quelqu'un d'autre que les ombres qui habitait les recoins de sa chambre.
Ces visites étaient du pain béni de son point de vue. Un bol d'air frais dans cette pièce qui n'avait qu'une seule fenêtre, une seule table boulonnée au sol, une seule chaise et un seul lit lui aussi boulonné. Et des habitants sombres.
Ils lui parlaient toutes les nuits. De ses actes. De leurs conséquences.
De sa famille, ses amis, ses collègues. D'à quel point la vie était mieux dehors.
Toutes les nuits, ses hurlements emplissaient la chambre. Son esprit ne lui laissait aucun répit. Toujours ces chuchotements, ces reproches. Cette envie impossible d'en finir.
Ce piège qui se refermait autour.
La poitrine qui se compresse, le cœur qui bat plus fort, le cerveau qui s'empli de ces bruits inaudibles pour les autres.
Personne ne venait en visite.
A part....
Elle se montra à la fenêtre.
Il lui sourit.
La visite commençait toujours part un silence. Ils se scrutaient mutuellement, cherchant le non-dit, le subtil qui commencerait leur échange.
Finalement, elle commença.
- Vous avez l'air fatigué.
Il haussa les épaules.
- Ce n'est pas grand-chose. La nuit me joue encore des tours...
- La nuit joue des tours à tout le monde en ce moment j'ai l'impression.
- C'est la période. Tout le monde perd la boule quand la nuit commence à manger le jour.
Elle soupira.
- La nuit nous fais si peur...
Il écrivit quelque chose sur sa feuille et continua.
- Sûrement à cause de notre instinct primaire.
La femme cilla.
- Comment ça ?
Il eu un petit sourire pédagogue.
- Nos ancêtres la craignaient car elle apportait les prédateurs près de leurs foyers. Les orages en devenaient terrifiants lorsque son voile sombre se superposait à eux.
Elle hocha la tête, compréhensive.
- Pourtant nous sommes dans un lieu rempli d'avancées technologiques.
- L'hôpital est avancé technologiquement mais humainement...
Nouveau hochement de tête.
- Humainement ce n'est pas ce qu'il y a de mieux.
Il lui sourit.
- Vous devriez le savoir depuis le temps que vous venez ici.
Elle pouffa.
- J'ai tendance à oublier ma journée quand je rentre chez moi. Ma maison est assez bordélique à cause de ma fille et je dois la ranger tout le temps.
Elle sourit tendrement.
- N'allez pas croire que je m'en plaigne. Elle apporte de la vie dans cette bâtisse presque morte. C'est mon bonheur sur pattes. Ma lumière dans la nuit.
Ce fut l'homme qui hocha la tête cette fois, tout en écrivant. Elle le regarda faire, une gêne commençant à se peindre sur son visage.
- Excusez-moi...
- Oui ?
- Il... Il semblerait que l'on m'appelle.
Il lui adressa un regard chaleureux.
- Je comprends. Vous pouvez y aller.
Elle eu un air soulagé.
- Merci beaucoup, à la semaine prochaine !
Elle reparti en faisant un signe de la main.
Il soupira et remit la chaise contre le mur. Ses notes commençaient à se compléter.
Il regarda tristement à travers la petite fenêtre de sa chambre. La patiente s'était roulée dans sa couette et regardait les murs qu'elle avait elle-même colorié avec des pastels pour enfant. Pour se protéger de la nuit avait-elle dit.
Il murmura pour lui-même.
- Au final, on en revient toujours à la nuit avec vous...
Il ferma son carnet en secouant la tête et parti, laissant la patiente stérile dans son rêve inaccessible.