Elle se réveilla dans son lit, fatiguée.
Son sommeil n'était, comme d'habitude, pas réparateur. Les cernes noirs, qu'elle se traînait depuis toujours, lui mangeaient littéralement la moitié de son visage légèrement verdâtre et terne.
Ses cheveux fin et filasses étaient emmêlés. Soupirant, elle se dirigea dans sa salle de bain et, comme tous les jours, lorsqu'elle se regarda dans le miroir, elle sourit. Qu'est-ce que c'était joli ce qu'elle avait sous les yeux ! Son reflet était beau, brillant. Il lui apportait la confiance nécessaire pour commencer la journée.
Elle mit ses vêtements de modeste mais poétiquement triste facture. Ils étaient eux aussi ternes, il faudrait penser à changer de machine...
Faisant le tour de sa maison, elle nota tout ce qui manquait, ce qui était défectueux et posa la liste sur le comptoir. Elle verrait plus tard pour la suite.Elle n'avait pas d'emploi et passait ses journées chez elle à récurer le moindre recoin pour le faire briller.
Même s'il se resalissait en cinq minutes chrono, elle était plus rassurée ainsi. Ça donnait l'impression qu'elle était respectable.
Ce qu'elle attendait pourtant, c'était la nuit. Elle ne dormait pas effectivement, hantée par un doux chant. Ses couteaux l'attendaient, l'appelaient. Alors elle se levait, les aiguisaient et allait devant son miroir.
Là, elle passait les lames sur leur chemin épidermique habituel, réouvrant les portes de chair aux ornements écarlates.
Son reflet pleurait de douleur physique et émotionnelle, s'ouvrant lui le visage, à bout de nerfs. Ses yeux étaient fixés sur ce qu'elle voyait dans le miroir. Un monstre hideux qui ne méritait pas tant. Quoique...
Elle revint dans le présent alors que la liste sur le comptoir s'agitait doucement, virevoltant dans les airs avant de se poser sur le sol et finir par se faire avaler par celui-ci. Elle poussa un long soupir avant de réaliser que la nuit venait de tomber.
Un fin sourire s'étira sur ses lèvres abîmées.
Ce soir, elle passerait.
Ses doigts rouges et défoncés par les multiples coupures vinrent vérifier l'état de son cou. Ah...
Son sourire s'étira à en déchirer la chair maladive de son visage, barrant celui-ci d'un grand croissant de Lune noir, trou béant d'où on pouvait voir ce qui la composait : le gouffre noir des peurs les plus profondes, les plus viscérales.
Son corps, alors qu'elle marchait vers le miroir, se disloquait peu à peu, craquant lugubrement dans la maison. Sa lame, extension directe de sa main qu'elle avait elle-même prise sur le chemin, ouvrit sa gorge d'un beau trait franc, laissant le sang raviver la couleur de ses vêtements.Elle arriva devant son reflet avec son immense sourire partant d'une oreille à l'autre. Celui-ci hurla de terreur et tomba à terre, sous le choc. Elle émit une sorte de grincement hystérique avant de commencer à découper son propre visage de joie. Passer de l'autre côté !
Le reflet la regardait avec une fascination morbide, ayant déjà dépassé le stade de la panique.
Elle faisait partie de ces créatures de cauchemar que personne n'aurait voulu croiser dans leur vie, même en illustration.
Elle passa une jambe aux angles impossibles à travers le cadre, puis la deuxième, laissant le sang de ses plaies goutter lourdement sur le carrelage. Le gargouillis incessant et immonde de sa gorge fendue bourdonnait dans les oreilles du reflet.
Ces créatures qui peuplaient les folklores germaniques avec leurs malédictions et leurs maléfices.
Elle s'approcha d'un pas croquant et monstrueusement traînant avant de se pencher vers son double, lame à la main. Ses yeux vides de toute iris, de toute pupille, pleuraient le sang qui ne s'évacuait pas assez rapidement. Le sourire s'étira dans un déchirement obscur, laissant apparaître une langue aussi noire que le désespoir qui se déroula hors de la bouche.
Elles avaient un nom des plus évocateurs pour les germanophones.
Son souffle fétide les enveloppa toutes les deux alors que le reflet la regardait, une main plaquée sur sa bouche, les yeux écarquillés de terreur, n'osant pas faire le moindre mouvement.
Doppelgänger.
Un grincement d'outre-tombe sorti de son corps improbablement vivant.
- Je suis jolie aujourd'hui t'as vu ?