Son chant traversait la tempête. Il parvenait aux oreilles des pauvres marins perdus, clair comme de l'eau de roche. Il était leur repère dans la nuit salée et mouvementée.
Leur bateau tanguait de tous les côtés, manquant de se crever sur les pics rocheux qui entouraient l'île tant espérée, tant recherchée.
Des mois qu'ils étaient dessus. On disait qu'elle renfermait un trésor unique et rare mais que c'était à ses risques et périls. Ils ont risqué... Ils vont périr.
C'est une histoire classique qui servira à avertir les téméraires fous qui souhaiteraient tenter l'aventure eux aussi.
Le récit de la mort ces marins n'est pas importante. C'est celui de la voix dans la tempête qui nous importe ici.
Les vagues s'écrasaient violemment sur les falaises. La nuit noire était brumeuse. Et cette voix entêtante qui semblait séduire les Dieux eux-mêmes mais qui pourtant, n'était réservée qu'aux hères qui étaient entrain de se débattre avec les éléments pour tenter de la rejoindre.
Lorsqu'ils eurent fini de tous couler, la voix s'arrêta. Si le vent ne soufflait pas si fort, si l'eau ne grondait pas comme un millier de loups enragés peut-être nous aurions pu entendre un clapotis particulier. Celui de quelque chose qui plonge dans l'eau par exemple.
Et si la nuit n'était pas aussi sombre et brumeuse, nous aurions pu voir une forme oblongue se glisser dans l'océan.
Peut-être que nous aurions vu ses longs cheveux cuivrés tressés étroitement ruisseler sur ses épaules et dans son dos.
Peut-être aurions-nous pu apprécier son regard au vert émeraude saisissant et le contraste époustouflant qu'il offrait avec la couleur de sa peau porcelaine.
Peut-être que nous aurions voulu embrasser ses lèvres rouges et pulpeuses qui ressemblaient à une fleur sous-marine d'une espèce rare et inconnue.
Peut-être que nos yeux auraient dérivé sur sa généreuse poitrine nue aux tétons roses avant de tomber sur sa queue de poisson.
Notre esprit en serait resté figé pendant un temps immensément long. Puis notre regard aurait analysé la couleur argentée qui prenait toute la place dans notre esprit avide de richesses, pensant un court instant que c'était de l'argent pur.
Sa nageoire immense et fine se serait redressée pour nous permettre d'admirer la finesse et la beauté sans nom du voile étoilé qui lui servait de gouvernail.
Mais la nuit étant ce qu'elle était, la tempête faisant rage, nous ne verrons rien. A part des vêtements déchirés et ensanglantés remontant à la surface.
J'ai essayé plusieurs fois de les avertir ces pauvres diables. Je leur ai raconté l'histoire de leurs congénères avides et assoiffés de pouvoir et de richesse. Mais jamais ils n'ont voulu écouter. Personne n'a jamais voulu écouter de toute manière. On me prend pour un rabat-joie, un fou, voire même un sénile !
Pourtant c'est vers moi que l'on se tourne pour l'avoir, pour la voir cette sirène, cette muse qui habite ma taverne.
Je ne l'ai vue qu'une fois, de jour. Jamais je n'oublierais. Je devais avoir 10 ans à peine. Je revenais de la pêche, seul parce que mon père était occupé à tasser ma mère.
Elle était là, à prendre le soleil sur un rocher plat dans un endroit que moi seul connaît. Nos regards se sont croisés.
J'étais petit, je ne comprenais pas grand-chose au monde qui m'entourait. Alors je lui ai fait un signe de la main sans parler. Elle n'avait pas répondu.
Puis je lui ai souris avec mes dents de lait qui étaient tombées il y a quelques jours.Elle avait étiré ses belles lèvres pour m'imiter et j'en eu des frissons glacés.
Ce n'était pas des dents qu'elle avait, mais des centaines de pics prêts à déchirer la chair qui se présentait à elle.