Ça faisait des heures qu'elle courait. Quelques pauses pour reprendre le peu de souffle qu'elle pouvait sans se faire rattraper.
La ville lui semblait étroite, étouffante, sifflante. Tout lui semblait si subtile, insidieux. Sa menace s'insinuait dans son cœur battant à l'unisson avec celui de la jungle urbaine.Elle se cacha dans un coin de rue sombre. Seul refuge qu'elle trouvait, comme c'est ironique quand on savait qui la chassait.
Elle se laissa glisser le long du mur pour reprendre le peu d'esprit qu'elle avait gardé. Pas ombre qui vive aux alentours, elle devrait être tranquille.
Sans doute qu'elle les avait semées.
Elle voyait flou. Elle entendait tout. Elle comprenait fou.
Les cris se rapprochèrent. Elle devait comprendre quelque chose mais elle était incapable de déterminer si elles étaient avec ou contre elle. De toute façon, qui avait déjà été avec elle ?
Elle se releva, la respiration courte.
Son esprit détraqué réfléchissait à la vitesse de la lumière. Attendre que la faille se montre. Pas encore.
Pas encore.
Pas encore.
...
...
Maintenant !
Elle s'élança dans l'avenue en direction de la mer. Son esprit lui hurlait dessus toutes les atrocités du monde. Tout ce qu'elle avait fait dans sa vie de louve solitaire. Il lui montrait des images de son passé. Lui passait les best-of des meilleurs cris d'agonie.
Elle cria contre tout. La ville, les ombres, ses souvenirs, elle.
Quitter l'atmosphère anxiogène de la ville pour la tempête qui faisait rage en mer.
A quoi bon continuer de toute manière ? Sa vie n'avait été que désastre sur désastre, que ce soit sur le plan professionnel, social ou sentimental.
Fuis.
Ce mot l'avait suivie toute sa vie.
Tu ne peux faire confiance à personne, pas même toi. Alors fuis. Fuis ta vie. Tu n'as plus de raisons de rester là.
Sa vision s'obscurcit encore un peu plus. Le manque d'oxygène commençait à se faire sentir mais elle ne pouvait pas abandonner. Rester là. Se faire attraper par les ombres. Se faire piquer. Encore.
Ces ombres si terrifiantes qui la hantaient. Ces ombres qui l'avaient frappée, violée, vendue.
Elle avait fini par vouloir être pendue.
Sa vie n'était sûrement pas la plus glorieuse ni la plus joyeuse ni même la plus heureuse.
Elle avait juste existé.
Et c'était déjà trop.
Elle s'engagea sur la longue jetée balayée par les vagues et les rafales de vent.
Oui c'était trop.
Les ombres lui hurlèrent dessus.
Encore des cris... Si elles la rattrapaient, elle était certaine qu'elles la frapperaient comme avant. Oui mais... Elle ne voulait plus d'avant et elle savait qu'il n'y aura pas d'après.
L'espoir n'avait jamais été présent dans sa vie, elle ne savait même pas ce mot.
Elle ne savait plus rien.
Une vague s'écrasa sur elle, elle faisant tomber.
Relève-toi imbécile. Ne te laisse pas ramener dans cet enfer.
Elle se releva vaillamment sous les regards vides des ombres hurlantes. Elle reprit son interminable course contre sa vie.
La porte de sortie était toute proche, bon sang elle aurait pu la décrire avec le peu de vocabulaire qu'elle avait !
Ses pieds ne sentaient plus la douleur, ses jambes étaient tellement froides que le simple frottement du tissu sur sa peau lui faisait des brûlures. Ses joues étaient mordues sauvagement par le froid et le sel de la mer.
Plus que quelques mètres.
Cinq.
Quatre.
Trois.
Elle se prépara à sauter dans le vide qu'avait été sa vie. Ce gouffre sans fond, sans la moindre trace de joie. Son salut.
Son cœur battait déjà plus fort à cette idée. C'était ça l'excitation ? La joie ?
Elle se sentait pousser des ailes rien qu'à l'idée d'en finir.
Une ombre l'attrapa et la plaqua contre elle, arrêtant la course de sa vie.
Non. Non. NON !
- NON !
Elle tordit les doigts qui s'accrochaient désespérément à elle. Elle se défit de son assaillant et sauta dans la mer déchaînée sous les yeux douloureux de son frère qui hurlait son prénom, les joues creusées par les larmes.
Elle souffla un bon coup avant de plonger dans les abysses éternellement froids.
Un souvenir récent remonta. Un homme qu'elle connaissait et envers qui elle avait un peu d'affection lui offrait un collier. Qu'elle avait toujours à son cou.
Le pendentif représentait un loup qui hurlait.