Chapitre 3

349 51 24
                                    

[Illustration de @AniaJay ] 


— Je vous dis qu'il n'y a rien, s'agace Ambre pour la énième fois à l'urgentiste qui s'occupe d'elle.

Sa plaie par balle ayant guérie le temps qu'on nous sorte de la banque, difficile de justifier le sang et le jean troué. Encore que, comme son pantalon a piètre allure à la base, le trou n'est pas bien complexe. Expliquer la présence du sang, par contre, quand on n'a aucune blessure, est une tout autre paire de manche.

D'un soupire, la médecin retire le bandeau scratch du bras de mon amie et referme sa mallette de secours. Son mouvement suivant me prévient que je suis sa prochaine victime, mais mon regard l'interrompt sur place. J'affirme avant qu'elle n'ait le temps de m'ausculter :

— Je vais divinement bien, mais si vous me refoutez encore votre lampe dans les yeux, je vous jure que je hurle à la maltraitance. On est toutes les trois OK, et si on a le moindre symptôme, on vous fait signe, promis.

L'urgentiste semble réfléchir une seconde en nous passant en revue, mais l'appel d'un collègue la détourne. Elle hoche la tête et pointe du doigt un autre camion identique à celui sur lequel je suis assise, où un bonhomme est accroupi devant une vieille femme.

— Le monsieur là-bas est psychologue, si vous avez besoin de parler de ce qu'il s'est passé, n'hésitez pas à aller le voir ; il vous proposera des créneaux.

Mes deux pouces jaillissent pour accompagner mon sourire rassurant, et elle s'éloigne pour laisser place à une femme d'une trentaine d'année que je devine immédiatement comme étant flic. Non pas parce que mon odorat est infaillible : tout bêtement grâce au holster de ceinture et à son carnet de note prêt à subir l'assaut du stylo bille qu'elle tient dans sa seconde main. Le pantalon noir de costume, ses chaussures récemment cirées et son pull anthracite à col rond et en grosses mailles aident à parfaire le look que j'aurais imaginé une inspectrice New Yorkaise porter. Et non, je ne regarde pas trop de série policière. 

Elle ne s'est pas encore arrêtée devant nous qu'elle a déjà ouvert la bouche pour attaquer :

— Excusez-moi de vous déranger aussi tôt, mais j'aurais besoin de vos dépositions, ainsi vous pourrez rentrer chez vous sans repasser au poste. Vous auriez quelques minutes à m'accorder ?

Les filles et moi nous regardons. Ou plutôt, devrais-je dire qu'Ambre et Elisa échangent un long regard. Celui qui ne m'est pas accordé car il me concerne. Je n'ai pas besoin de demander pour savoir ce qu'elles pensent : j'ai tout intérêt à les laisser parler, sinon moi et ma langue trop pendue auront tôt fait de balancer des infos croustillantes. C'est tout de même une honte de croire ça de moi quand on sait que j'ai passé plus de vingt ans à garder la particularité de ma sœur secrète !

 Enfin, si on émet les quelques fois où j'étais trop jeune ou trop bourrée pour me rappeler du silence que je devais garder.... Mais hé, ça ne compte pas !

Cela dit, ça m'arrange bien : j'ai une migraine qui tambourine derrière mes yeux depuis cinq bonnes minutes. C'est Elisa qui se charge de donner sa version des faits, accompagnée à une ou deux reprises par l'intervention d'Ambre. À les écouter mentir avec tant d'honnêteté, sans omettre de passer pour des femmes choquées par ce qu'elles viennent de vivre, on leur donnerait le bon dieu sans concession.

Autour de nous, les passants et touristes curieux commencent enfin à déserter les lieux, encouragés par de nombreux policiers en uniformes occupés à les garder à distance et à fluidifier la circulation des véhicules. Le brouhaha constant de New York est à son apogée depuis qu'on nous a sorti de la banque. Entre les patrouilles de police et leurs gyrophares, difficile de supporter cette effervescence quand on vient de la campagne. Les braqueurs ont depuis longtemps quitté les lieux, embarqués menottés et semi-conscient. Ne reste plus que certaines victimes éveillées de leurs sommeil forcés subissant le même suivi médical que nous avons déjà reçu, au milieu d'ambulances et de cordons étendus pour cloisonner la banque et empêcher les gens d'outrepasser la « scène de crime ». Qui n'en est pas réellement une puisque personne n'est mort.

Little SunOù les histoires vivent. Découvrez maintenant