Chapitre 4

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   Je repars du magasin bredouille pour régler mon colossal souci, un simple post-it au creux de ma paume comme maigre réconfort à ma dépression. Ce n’est pas l’adresse d’un Dieu inscrit dessus (ha ! si seulement c’était si facile…), mais celle d’une galerie d’exposition du quartier, où Yaya m’affirme pouvoir m’y faire embaucher.     La seconde chose que je lui ai demandé, car elle en connait un rayon sur la fréquentation paranormale de New York. Bien que son père soit anglais à la base, originaire d’Irlande, et sa mère Pakistanaise, ils se sont tous les deux rencontrés à la croisée des chemins de l’exode : le point névralgique d’une époque où de nombreux immigrants mettaient pieds sur Ellis Island. Ils sont donc tombés fous amoureux et n’ont plus jamais quitté la ville où Yasmin est née. Du coup, elle sait plein de choses dans le coin.

J’en profite de passer devant un Starbucks pour me prendre un super iced chai tea latte, découvert pour la première fois en débarquant à New York City avec les filles. L’automne tarde à s’installer, et la chaleur de l’été laisse encore son épaisse couverture planer sur le béton de la ville.

J’hésite à téléphoner au numéro du petit papier, puis me fait la réflexion qu’au pire, je n’aurais qu’à laisser un message vocal s’il est trop tard. Sirotant ma boisson tout en vérifiant que je me dirige bien vers l’appartement, mon regard savoure à noter les détails de cette ville qui la distingue par bien des égards à celles de mon pays. Les camions, par exemple. Leurs trucks ressemblent à des personnages tous droits sortis du dessin animé Cars. Moi qui pensais qu’ils avaient cette tronche pour se donner un style, je me rends compte qu’ils sont juste à l’image du pays. M’as-tu-vu.

— Warlord Volk.

Je sursaute, me rappelle des tonalités sonnantes une seconde plus tôt. La voix, même élégante, résonne à mon oreille de façon incompréhensible.

— Euh, allô, qui est à l’appareil ?

— Vous êtes à l’origine de cette communication, j’ose escompter que ce n’est pas un appel pour passer le temps, sinon je vous prie de bien vouloir épuiser une autre âme.

Mon cerveau marque un temps d’arrêt, légèrement plus long que le premier. Mais, qui est-ce qui parle comme ça au vingt-et-unième siècle ? Même les vieux garous de la Meute Magister n’utilisent pas un vocabulaire aussi soutenu. L’accent léger que je perçois me laisse croire qu’il s’agit juste d’un étranger soucieux de s’intégrer.

— Oui, euh, pardon, je vous appelle de la part de Yasmin…

— Qui ?

— Euh Baga Wala… ?

— Je vais raccrocher.

Purée mais il fait aucun effort !

— Baba Yaga ! je m’exclame un peu trop fort, faisant sursauter une mère avec son petit pendu au bout du bras que je viens de croiser. Non, pardon, c’est Yaya Wawa, de la boutique de vaudou ?

— Oh, il fallait le dire immédiatement. Que puis-je faire pour vous ?

Je fais rouler mes yeux dans leurs orbites. Ça commence bien, cet entretien d’embauche.

— Je viens de m’installer dans le quartier, et elle m’a conseillé de vous appeler pour un potentiel job d’étudiant ?

La personne à l’autre bout du téléphone que je devine être un homme au vu de sa voix, indéniablement masculine malgré son velouté et ses manières de centenaire, lâche un « Mmm ». Je visualise un vieillard avec une barbe grise frôlant ses castagnettes et repoussant ses lunettes jusqu’à ses sourcils.

— Et quelle est donc votre nature profonde, mademoiselle… ?

— De Soto.

— De Soto, répète-t-il, et j’ai la sensation qu’il étudie mon nom par sa prononciation, comme s’il pouvait lui apporter une quelconque information personnelle à mon sujet.

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