Nous ferons tout, tout, par nous-même
Nous n'avons besoin de rien ni de personne.Si je m'allonge ICI, si je m'allonge juste ici,
Est-ce que tu t'allongeras avec moi pour oublier le monde ?
Oublie ce qu'on nous a appris, avant que nous ne devenions trop vieux
Perdons du temps
Quand j'avais 11 ans, je JOUAIS souvent au foot dans la rue, avec des amis. Parfois, Leila nous rejoignait, mais les autres n'approuvaient pas trop sa présence sous prétexte que c'était une fille. Leila détestait qu'on la traite différemment parce qu'elle n'avait pas de barbe.
Alors, un jour, elle leur a proposé un CONCOURS de jongles. Elle a pris mon ballon et s'est mise à l'envoyer en l'air à un rythme régulier. Et, croyez-le ou non, mais elle a battu quatre gaillards, et pendant qu'il se moquait des autres, le dernier a perdu la balle.
Elle était tellement contente qu'elle a tiré de toutes ses forces, n'importe comment. Le ballon a atterri droit dans la propriété d'un riche habitant de Mogi Das Cruzes, bien connu pour haïr les enfants des favelas qui grouillaient dans le coin. Les autres ont éclatés de rire tandis que je m'écriais :
- Leila ! Mon ballon !
Elle a levé les yeux au ciel avant de se diriger vers les murs qui protégeaient le jardin. Elle a balancé une bâche qui traînait par-là sur les barbelés et m'a ordonné de lui faire la courte-échelle. Je me suis exécuté, avant de la suivre dans la MAISON assez impressionnante. Je saisissais mon ballon quand j'ai entendu les premiers aboiements. Des énormes chiens ont surgi du fond de la propriété. Leila a pâli mais n'a pas bougé.
Alors, je lui ai attrapé la main et je l'ai entraîné en quatrième vitesse par le PORTAIL qui, alléluia, s'ouvrait de l'intérieur, sans clé. On a détalé comme des perdus, mais ces foutus clebs refusaient de renoncer.
On a couru sur au moins un kilomètre dans les petites rues, afin d'atterrir sur une grande artère.
J'ai bifurqué sur le bord de la route, plein de végétation, et on s'est enfoncé jusqu'à ce qu'elle soit trop épaisse pour qu'on puisse CONTINUER. J'ai bien cru qu'on était finis quand elle a soulevé ce qui semblait être un buisson, et qui se trouvait en fait être une branche, couchée au milieu d'un sentier qui menait en contrebas. On a dévalé la pente jusqu'à se retrouver sur une plage, déserte, avec simplement un motte de terre au milieu de la mer, sur laquelle on s'est réfugiés.
L'île.
C'est comme ça qu'on l'a DÉCOUVERT.
Plus tard, elle est devenue notre repère, l'endroit où se rejoindre le soir, ou lorsqu'on s'était perdus pendant une de nos nombreuses cavales. Ce n'était pas un hasard, c'était convenu. Ce jour-là, pendant que nous explorions notre trouvaille, je l'ai regardée et j'ai dit :
- ICI, ça sera notre endroit. Plus secret que l'abribus. On le dit pas à nos sœurs. À personne. Si un jour je te perds, c'est là que je retrouverai.
C'est là que je te retrouverai.
Tout ça pour dire que, 8 ans après sa disparition, cette phrase refuse de sortir de mon esprit tandis que je la contemple, là, DEVANT moi.
Nous deux, face à face, devant cette île où, comme si c'était écrit d'avance, il était convenu qu'on se retrouve.
Le bonheur se presse, là, à la porte de mon cœur. Et il ne demande qu'un signe de sa part pour l'envahir et combler toutes les fractures que son absence a causé. Et d'un coup, ça y est. Elle me sourit tendrement et souffle :
- Je savais que tu y arriverais, Junior. Je savais que la vie te réservait le meilleur.
Un sourire s'étire à l'infini sur mon visage. Mon cœur, au lieu d'accélérer, se détend. Mon souffle devient calme, posé. Tous mes membres se décontractent alors que le bien-être se rue dans mes veines. Mon cerveau devient léger ; cesse de tourner follement en rond comme dans un piège pour se laisser aller à un calme des plus agréables.
Je me sens comme après avoir avoué un secret trop lourd à porter, comme après qu'on ait annoncé les titulaires pour un match. Mon esprit est libéré de tout problème, et à l'horizon, je ne vois qu'un océan parfait, frais et reposant après ces années à me torturer.
Mon sourire est béat, idiot. Je n'ose pas y croire. Un rire fou s'échappe de ma gorge tandis que mes yeux s'embuent. On rit comme des demeurés, l'un en face de l'autre.
- Leila, je répète comme si j'avais peur qu'elle s'évapore. Leila, Leila, putain, c'est toi !
Oui, oui, c'est elle, je le sens dans chaque parcelle de mon corps. Mu par un instinct plus puissant que tout, je m'élance vers elle et la prend dans mes bras, sans me préoccuper de savourer cet instant. Sans me poser de QUESTIONS sur la façon dont je dois réagir, dontelle va réagir, parce que c'est simple : c'est Leila et Junior. Comme avant.
On se serre comme si on craignait d'être arraché l'un à l'autre, on se serre comme si ça ne suffisait pas, on se serre comme si on avait cru ne plus jamais pouvoir le faire. Je plonge mon nez dans ses cheveux et elle fait de même avec mon cou. J'ai peur de l'étouffer tellement je la presse contre moi pour m'assurer qu'elle est bien réelle. J'enregistre chaque DÉTAIL, son odeur, sa respiration contre moi, ses mains dans mon dos, son rire heureux, ce bonheur parfait qui nous réunis dans cette étreinte.
On ne parle pas, on se contente de murmurer nos noms respectifs avec l'air de ne pas y croire. Qu'est-ce que je pourrais dire de toute façon ? Tout ce que je ressens, elle le sait déjà.
Je la fais tourner dans les airs tandis qu'elle rit à gorge déployée.
Je me sens bien. C'est tout.
Vous savez, ce sentiment d'être parfaitement à sa place, d'un devoir accompli, de bien-être, qui vous inonde et vous fait vous sentir léger, comme si vous alliez vous envoler, rire pour aucune raison, trouver la planète entière magnifique ?
C'est ce que je ressens quand je suis avec elle.
Elle est celle qui me fait me sentir moi, me sentir heureux, tranquille, rassuré, serein. Elle libère ma sérotonine, détend mes muscles, calme mon souffle.
On tournoie jusqu'à tomber à la renverse dans le sable, sous l'éclat de la lune, sous nos éclats de rire, ivres de bonheur et d'avoir trop tourné.
Essoufflé, je me contente de la garder SERRÉE entre mes bras, contre mon torse. Trop de question se pressent dans ma tête.
Qui t'as fait ça ?
Où tu étais ?
Comment tu as su que j'étais là ?
Pourquoi est-ce qu'il on dit que tu étais morte ?
Est-ce que cette RENCONTRE dans les favelas était réelle ?
Pourquoi m'as-tu repoussé si c'est pour revenir aujourd'hui ?
Mais la plus importante de toutes ne lui est pas ADRESSÉE. Personne n'a encore la réponse.
Est-ce qu'on va finir par être heureux, tous les deux ?
Leila.
♪