Chapitre 2: Tic & Tac

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2014, 8 ans après.
Neymar.
 
- Je ne comprends pas comment vous faites, Enrique, je m'énerve.
 
Je froisse des clichés de femmes qui lui ressemblent à peu près autant qu'une moule ressemble à une entrecôte.
 
- Monsieur Neymar, je fais mon possible, il faut me croire... bredouille l'homme chauve en face de moi. Mais elle est tout bonnement introuvable.
- Je ne vous demande pas non plus de trouver le code de l'arme nucléaire, merde !
 
Je me lève et essaie de me calmer.
Je suis dans ma maison à Barcelone. Enrique, mon détective privé, est assis à une table moderne où sont éparpillés les résultats de ses recherches de ce trimestre-ci. Des dizaines et des dizaines de feuilles pouvant se résumer en un seul mot : conneries. Un coup, il pense l'avoir retrouvée au Pérou. L'autre, qu'elle est devenue danseuse de flamenco en Argentine.
Je commence à en avoir marre de tous ces faux espoirs, de ce temps perdu. J'ai beaucoup d'affection pour Enrique, parce que je dois lui reconnaître sa patience. À chaque RENDEZ-VOUS, je suis d'une humeur de chien.
 
- Bien, je soupire. Rappelez-moi les pistes que vous avez explorées.
- Tueurs. Violeurs. Pédophiles. Trafic de drogue, d'organes.  Et ce sur toute l'Amérique de Sud. Je n'ai rien trouvé de concluant. C'est comme si elle s'était volatilisée, Monsieur.
- C'est IMPOSSIBLE, je tranche. Elle est forcément quelque part !
- Pas forcément, Monsieur... Vous savez, il se peut qu'elle soit m...
 
Je le foudroie du regard. Je refuse d'envisager ne serait-ce que l'hypothèse de son décès.
 
- ... Qu'elle soit bien cachée, il se reprend. Vous êtes bien sûr que vous n'avez pas oublié un DÉTAIL important ?
- Je vous ai raconté tout ce que je savais, et vous n'avez pas la retrouver depuis plus de 4 ans que vous travaillez pour moi !
- Eh bien, je ne suis pas sûr que le fait de savoir qu'il vous manquait les dents du haut quand vous vous êtes RENCONTRÉS, ou bien que vous avez pris votre première cuite ensemble puisse m'aider...
- Mais merde, c'est votre boulot, Enrique ! j'hurle, à bout de nerf. Je crois que vous ne réalisez pas à quel point c'est important pour moi, tout ça !
- Bien sûr que je le sais, Monsieur Neymar, me dit Enrique en me saisissant par les épaules pour me calmer. Je mets tout mon cœur, tout mon temps dans cette enquête. Et on finira par la retrouver, je vous le promets.
 
J'hoche la tête, soulagé.
 
- Bien, conclut-il. Je crois que nous ferions mieux de terminer ce RENDEZ-VOUS. Je ferais en sorte que le trimestre prochain, vous ayez de bonnes nouvelles.
 
Je le remercie et sens les battements de mon cœur s'apaiser. Avant qu'il ne franchisse la porte, je lui rappelle :
 
- Surtout, pas un mot à Bruna.
 
Il me fait SIGNE qu'il sait et s'en va. Je m'écroule dans le canapé et enfoui ma tête dans mes mains. Des fois, j'aimerai pouvoir arrêter de penser. Parce que penser à tout ce que j'ai perdu me fait bien plus mal que tout. Penser à ce que j'avais encore plus, parce qu'aujourd'hui je suis seul dans cet appartement à l'autre bout du monde.
J'ai l'impression d'être perturbé. Parce que je n'arrive pas à passer au dessus. Je n'y arrive pas.
 
2000, 6 ans avant.
 
Mes souvenirs de cette époque ne sont pas très clairs. Je me souviens de quelques fragments, mais pas d'une ligne précise. Mais aussi loin que je me souvienne, ça s'EST fait progressivement. On a COMMENCÉ par rigoler un peu ensemble, et puis nous avons découvert que nous habitions la même rue. On rentrait ensemble tous les soirs, et le matin aussi. Sur le chemin, on a commencé à faire un tas de bêtises. Il me semble que c'est après qu'on a commencé à faire nos devoirs l'un chez l'autre, à s'asseoir à côté et à passer tout notre temps ensemble.
Nous avions 8 ans. C'était un jour de Septembre, où nous rentrions normalement de l'école, Leila et moi riant comme des fous pour je ne sais plus quelle raison.
D'un coup, il s'est mis à pleuvoir des trombes d'eau. C'était comme Dieu avait soudainement lâché toute l'eau de la planète sur nos têtes. On y VOYAIT pas à 10 mètres, et on s'est réfugiés chez Josepha, la vendeuse de bonbons chez qui on allait parfois.
Elle ne nous avait jamais parlé, mais ce jour-là, alors que je donnais à Leila mes affaires de sports qui étaient sèches grâce au sac dans lequel elles étaient, et que je l'aidais à essorer ses cheveux avec la serviette que Josepha nous avait donnée, elle s'est lancée.
 
- Vous êtes mignons tous les deux, elle avait déclaré comme si on était des chiots dans une animalerie.
- Eurk, avait fait Leila. On est pas "mignons".
- Pardon mes biquets, avait dit Josepha en riant. C'est juste, vous êtes touchants. Tic et tac.
 
J'avais lancé un regard à Leila, dans le style "qu'est-ce que cette vieille folle raconte?"



- Quoi ? j'avais demandé, de manière, je l'avoue, ultra polie.
- Tic et tac.
- C'est quoi ça, tic et tac ?
- C'est comme ça qu'on vous appelle, dans le quartier, nous a-t-elle informé. Parce que vous êtes tout le temps ensemble, et que vous faites toujours les idiots.
 
Leila m'avait regardé en fronçant les sourcils.
 
- Tic et tac, c'est deux écureuils qui se séparent jamais, elle avait ajouté.
 
Leila a roulé des yeux. Ça ne lui plaisait pas d'être qualifiée de « mignonne », d'« adorable » et d'écureuil en même temps. Moi non plus, je dois l'avouer. Ça cassait un peu ma virilité. Et puis, quitte à avoir un surnom, j'aurais préféré un truc plus inquiétant, dans le style, la terreur de la favela.
 
- J'ai même contribué à le rependre, a CONTINUÉ Josepha, visiblement fière d'elle.
 
Ainsi donc, tout est de VOTRE faute, je m'étais dit. J'avais échangé un bref regard avec Leila, et en une seconde on s'était compris.
En moins de temps qu'il ne le faut pour le dire, on a attrapé les paquets de bonbon les plus proches et on se mettait à COURIR hors du magasin.
 
- Tic et tac sont des putains d'enfoirés d'écureuils adorables ! a hurlé Leila à travers ses rires.
 
Josepha n'a pas pu nous suivre à cause de la pluie et parce qu'elle devait tenir sa BOUTIQUE. À peine une seconde plus tard, nous étions déjà dégoulinants. Mais on s'en foutait. Qu'EST-ce que la pluie pouvait bien contre des enfants pauvres, rompus à l'inconfort ? On courrait en se tordant de rire, en zigzaguant dans Braz Cubas.
 
- On est des putains d'écureuils indestructibles ! j'ai renchéri.
- C'est toi et moi contre le monde entier !
- Toi et moi contre le monde entier ! j'ai affirmé.
 
Après avoir couru SUR quelques rues, on a échoué dans un abribus abandonné, parce que le bus ne passait plus depuis des années dans ce quartier de Mogi Das Cruzes. Il était tout en béton noirci, faisait à peine quatre mètres carrés et contenait un unique banc, mais il était génial. Avec un toit, légèrement dissimulé par des arbres, et surtout, à nous. On s'est assis et on a mangé nos victuailles en regardant la pluie battre le sol à l'extérieur.
On était tellement heureux ce jour-là. Ensemble. Et peut importait le reste.

Mais comme je le dis, je n'ai pas de souvenirs précis de comment ça s'est fait, après tout, nous n'avions que 8 ans. Je sais juste qu'elle m'était devenue indispensable.
Quand je regarde en arrière, elle est toujours à mes côtés.
Malheureusement, quand je regarde DEVANT, je ne la vois nulle part.

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