2014, 8 ans après.
Leila_
Je suis affalée sur mon lit, sur le dos, et je contemple le plafond blanc. Je suis absolument perdue. Dans le passé, dans le présent. Et je ne vois aucune éclaircie à l'horizon.
Parce que oui, je suis MAINTENANT dans un bordel. Dans le quartier le plus malfamé de Braz Cubas, où seuls ceux qui ont un but précis viennent.
Heureusement, j'ai toujours des occupations. Et quand je n'en ai pas, je prends des livres et j'étudie. Rester sans rien faire me serait impossible. Et puis, j'ai toujours aimé apprendre, même si j'ai souvent séché les COURS pour faire des choses autrement plus drôles avec Junior. Lui n'aimait pas ça, et n'en avait pas besoin. Il arrivait à décrocher des notes plus que passables sans rien écouter et sans travailler. Moi ? Si je travaillais, j'arrivais à de très bons résultats.
J'aurais pu avoir un bon travail. J'aurais peut-être même eu une chance de sortir de la favela. Mais à la place je suis ICI.
Est-ce que j'ai le choix ? Vraiment pas. Si je pars, ils tueront mon père et ma sœur. Et je peux vous dire qu'ils sont très sérieux en disant ça. Ils l'ont déjà fait pour d'autres.
Je soupire et une larme coule le long de ma JOUE.
Je croyais au destin. Je croyais au destin, tout tracé devant moi, merveilleux, m'ouvrant ses portes. Je le VOYAIS déjà, en ligne droite et magnifique, me tendant les bras.
Et puis il y a eu ce jour-là.
Et le destin n'existe pas. Le destin n'est pas une route qu'on prend seul ou à deux, ce n'est pas votre AVENIR tout écrit qu'il vous suffit de suivre. La vie est une succession événements tous plus inattendus et affreux les uns que les autres, qui vous permettent d'avancer un peu plus vers la fin. Rien n'est écrit, rien n'est tracé, la vie est simplement une combinaison de réactions en chaîne, une bombe en faisant exploser une autre, chaque fois plus près de votre visage.
Parce que je ne peux pas croire que ça soit mon destin. Je ne peux pas croire qu'en naissant dans ma famille et en grandissant avec Neymar, j'étais destinée à finir dans un bordel, loin de lui.
Lui a son destin tracé. Depuis la nuit des temps, il avait choisi le football. Et il y est arrivé. C'était évident. C'était ce à quoi il était destiné, toute autre issue aurait été impensable. Junior, dans un bureau, avec un patron et des DOSSIERS ? Laissez-moi rire. Quant à moi, je m'étais toujours vue à ses côtés, criant et l'encourageant à chaque but marqué. Au lieu de quoi, eh bien, disons que je fais pareil, mais à travers un écran.
Ok, je ne devrais pas me plaindre. Toutes les filles ICI ont une vie bien pire que la mienne. Parce que j'ai au moins la chance, oui, la chance, de ne pas être une prostituée :Ce jour-là, mon père m'avait forcée à m'habiller bien, parce que j'allais dans la capitale. Et j'avais l'air tellement convenable qu'il m'ont prise pour une touriste. Les enlèvements d'enfants contre rançon sont fréquents à Saõ Paulo, beaucoup trop.
Mais voilà. Je n'étais pas une touriste, et mon père n'a évidement pas eu l'argent pour payer ma rançon. Mais au lieu de me tuer comme ils avaient menacé de le faire, ils ont décider de me recycler, en quelques sortes. En prostituée.
Avant 17 ans, les filles sont censées ramener des clients. C'est ce que je faisais quand j'ai croisé Junior, dans la favela. Dans ses yeux, j'ai vu qu'il me regardait toujours comme celle que j'étais. Mais je m'apprêtais à emprunter un chemin sans retour. J'ai vu qu'il attendait toujours de moi que je sois celle qu'il aimait, et tout-à-coup, je me suis sentie plus mal que jamais. Je ne me sentais plus digne de lui, qui était aux portes d'un succès mérité. Je sentais que je n'avais pas le droit de lui voler ses rêves, ses illusions en lui montrant celle que j'étais. Il réussissait, il y arrivait sans moi. Je n'avais pas le droit, en aucun cas, de ruiner ça, de l'inquiéter et de l'obliger à m'aider. Il fallait qu'il vive, MAINTENANT. En passant outre ma disparition. Je préférais qu'il soit heureux seul, plutôt que malheureux à mes côtés.
Le repousser a été le chose la plus difficile qui ne me soit jamais arrivée. J'ai dû lutter pour ne pas lui sauter dans les bras et y pleurer en lui parlant de tout ce que j'avais SUR le cœur. J'ai dû renoncer à la paix et à la sécurité qu'il m'aurait offert.
Ne pas le mêler à tout ça.
J'ai eu tellement, tellement honte de ce que je m'apprêtais à devenir que le soir-même, j'ai pris mon courage à deux mains et je suis allée voir Roberto. Je l'ai supplié de ne pas faire de moi une prostituée, à tel point qu'il a finit par me proposer un marché.
La plupart des filles du bordel sont enlevées plus jeunes, vers 8 ans, afin qu'elle soient vierges, et n'ont donc pas SUIVIS les cours comme je l'ai fait. Roberto m'a donc dispensé de tout ce qui était corporel, à condition que je m'occupe de tout ce qui est cérébral, et qui lui faisait cruellement défaut. J'ai évidement accepté, et depuis je suis là, régnant sur l'horreur, organisant les rendez-vous de chacune des filles, les poussant toujours vers leur cauchemar. Je suis pire qu'une prostituée, je suis un monstre.