Chapitre 30

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— Nous pouvons l'installer dans une chambre, suggéra Frode, espérant que Ketil ait eu l'intelligence d'esprit de quitter le village.

— Je pense que tu en as assez fait, grogna Aslak l'air mauvais.

— Je défends les intérêts des miens, répliqua Frode. En situation inversée, tu aurais fait comme moi, affirma le vieux jarl.

— Si Aliénor meurt, je traquerai ton fils et lui infligerai le supplice de l'aigle sur tes propres terres, jura Eirik.

Frode leva le menton et soutint son regard haineux :

— Alors, j'ai une raison supplémentaire d'espérer que ta femme survive, répondit Frode. Parce que sa mort marquera le jour où nos clans deviendront ennemis, ajouta-t-il en regardant Aslak pour le prévenir de ce qui était en jeu.

— Ramenons-la, ordonna Aslak, ignorant la menace sous-jacente.

— Je vais faire préparer un chariot pour le transport, affirma Frode.

— N'attends pas de remerciements de ma part, cracha Aslak, qui avait la main sur le manche de son couteau.

— C'est pour elle, gronda Frode. Elle a risqué sa vie pour vous et je respecte ça.

Ignorant la douleur des coups reçus, Eirik prit sa femme inconsciente dans ses bras. Elle lui sembla plus fragile que jamais et son besoin de la venger embrasa ses entrailles, surtout qu'il n'oublierait jamais comment Ketil l'avait frappée et malmenée jusqu'à tenter de la violer.

— Si elle survit et puisque vous sortez d'ici sains et saufs, elle devra honorer notre marché, s'écria Frode.

Aslak le dévisagea en contractant les mâchoires de fureur :

— Et tu devras honorer ta part et affranchir les six femmes que je t'ai vendues, répondit Aslak en affichant un sourire en coin. Après les traitements que les tiens leur ont infligés, elles ne manqueront pas de trouver comment se venger.

— Nous verrons, souffla Frode en redressant le menton.

Aslak prit les rênes des chevaux attelés au chariot pour qu'Eirik puisse rester à l'arrière avec Aliénor, toujours inconsciente.

Le voyage fut long et chahuta la jeune femme qui gémit à plusieurs reprises, sans reprendre conscience. Eirik inquiet resta impuissant face au visage de sa femme qui devenait de plus en plus pâle, couleur qui fit ressortir les marques de coups infligés par Ketil.

Ils rentrèrent au village sous la bienveillance de la lune, Eirik porta Aliénor dans leur lit tandis qu'Erma et Eldrid allaient chez Adi prendre les quelques remèdes qu'Aliénor leur avait mentionnés comme étant efficaces. Les deux femmes espéraient mettre Eirik dehors, mais il refusa de quitter son chevet.

Au beau milieu de la nuit, Aliénor émergea de son étrange sommeil, les voix autour d'elles lui étaient familières même si elles lui parvenaient déformées et lointaines. Les yeux mi-clos, Aliénor aperçut Solange et Arnold au pied de son lit. Ils la dévisageaient sans aucune expression.

Quand Aliénor entendit un son étouffé, son cœur se mit à battre plus fort. Solange et Arnold se séparèrent pour se placer de part et d'autre du lit comme pour lui tenir la main.

Aliénor réalisa que c'était elle qui avait gémi et la douleur la frappa encore par le biais de violentes crampes au bas-ventre, lui donnant l'impression d'être déchirée de l'intérieur. Elle serra les dents, roula sur le flanc pour se recroqueviller sur elle-même et en gémit davantage, consciente que son corps cherchait à expulser ce qui était mort en elle...

Plusieurs heures durant, Aliénor gémit et se tordit de douleur, sous le regard des vivants et des morts dont les voix familières l'exhortaient à passer d'un côté ou de l'autre. Trempée de sueur, Aliénor sentit que des mains lui caressaient les cheveux, elle regretta de ne pas être seule dans son calvaire, parce qu'Eirik assistait à sa fausse-couche.

Quand l'aube irisa l'horizon et que sa pâle lueur entra dans la demeure, la douleur prit fin. Les yeux mi-clos, Aliénor vit Solange, le visage rayonnant de bonheur, couver de ses bras un bébé, Arnold et elle lui sourirent avant de disparaître dans la lumière.

Eirik apparut dans son champ de vision. Aliénor lui sourit faiblement et tenta de lui tendre la main, qu'il s'empressa de lui serrer. Eirik lui dégagea le front de ses cheveux collés par la sueur.

— Je te demande pardon, lui murmura-t-elle, la voix éraillée par la fatigue et la douleur.

— Il n'y a rien à pardonner, tout ce que je désire c'est que tu restes avec moi, lui répondit-il conscient qu'elle avait frôlé la mort de près.

— Solange et Arnold sont partis avec le bébé, coassa-t-elle au bord des larmes.

Eirik soutint son regard et lui essuya ses larmes, mais il n'avait pas les mots pour la réconforter. Il était ravi que les spectres soient enfin partis et malheureux que l'enfant que sa femme portait en son sein n'avait pas eu la chance de vivre auprès d'elle.

— Nous fabriquerons trois beaux vaisseaux pour les honorer, lui souffla-t-il conscient qu'Erma et Eldrid étaient en retrait derrière-lui.

— Tu m'emmèneras à l'arbre aux prières, lui sourit-elle.

— Où tu voudras, déclara-t-il en sentant son cœur bondir d'espoir.

— Je t'aime, lui souffla-t-elle alors que l'épuisement la terrassait.

— Je t'aime, lui répondit-il en l'embrassant sur le front.

Viking de feu et de sang T1 🔞(récit terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant