5 - Barbes à papa

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Musique : Everybody Hurts - R.E.M


   Péniblement, Iris ouvre les yeux. Il fait à peine jour. Le soleil vient tout juste d'apparaître. Il transperce les persiennes. En réalité, Iris n'a pas beaucoup dormi : les rayons lumineux ne la surprennent pas vraiment. Elle n'a cessé de les attendre ces derniers jours. Ces rayons, ce soleil, cette journée, ce moment fatidique. Le 24 septembre. Il est enfin là et Iris ne sait que ressentir : tristesse, joie, nostalgie ? Elle a l'impression d'être dans le noir, une obscurité opaque, effrayante. Où aller ? Elle aimerait qu'on l'a cajole, qu'on la berce, comme un enfant. Mais qui serait le faire aussi bien qu'Achille le faisait ? Personne, sans doute. Depuis qu'il lui a laissé ce petit mot il y a deux semaines, elle n'a plus aucune nouvelle. Elle ne sait rien. Avance dans le noir complet. Elle continue, s'accroche, à un rien. Combattante, jamais Iris ne lâcherait. Et ça, Achille le sait bien. 

D'un revers, elle balaye ses pensées. Doucement, alors que ses parents dorment encore, la jeune-femme se lève alors . Elle se prépare en vitesse et à peine dix minutes plus tard, elle sillonne déjà les routes de Whistable en direction de chez Jo's. Elle a décidé de rallonger son contrat. Elle reprendra la fac au second semestre. Elle préférait, encore un peu, repousser la réalité. Travailler dans le restaurant est comme une bouffé d'air frai, un renouveau perpétuel, un exutoire. Pourtant, aujourd'hui, elle sait que la journée va être longue. C'est ce qu'elle ne cesse de se répéter pendant tout le trajet. 

Et Jo semble l'avoir remarqué. Toute la matinée, il n'arrête pas d'être prévenant et doux. Il s'occupe des clients les plus désagréables, lui octroie plus de temps de pause, débarrasse ses tables. Il essaye de panser les plaies à vif d'Iris - celles qu'elle n'arrive plus à cacher-. Et lorsqu'à quinze heures, il la libère, elle ne peut s'empêcher de souffler. D'un long et libérateur souffle. D'un long et revigorant souffle. Il lui insuffle du courage. Elle sait qu'elle en aura besoin.

Tout en détachant ses cheveux et en saluant Jo, la jeune femme quitte le restaurant en vue de se diriger rapidement dans le petit parc, celui où elle est censée rejoindre Achille. Pourtant, son avancée est rapidement stoppée lorsqu'elle aperçoit Jamie, assis sur un banc, qui semble en train de l'attendre. Il triture ses mains, les doigts rougis par la bise automnale. 

- Que fais-tu ici ? Elle s'esclaffe tout en se dirigeant vers le principal intéressé. 

Pendant quelques secondes, il cherche ses mots, déstabilisé. Le vent souffle dans ses cheveux qu'il recoiffe instantanément. 

- En fait, je ne sais pas vraiment. Confesse-t-il en se levant. 

Face au regard dubitatif de la jeune-femme, il continue : 

- Ce matin, j'ai vu qu'ils avaient installé la fête foraine. Et je me suis souvenu que tu adorais le train fantôme. Il la regarde tendrement avant de poursuivre d'un d'un air mutin.                                   Je ne sais comment je me suis retrouvé à attendre. 

Iris, attendrie, lui sourit. Sans un mot, elle lie leurs deux bras. Ils marchent doucement, bercés par la sérénité du rivage. Et Achille semble avoir totalement disparu de son esprit lorsque les deux jeunes gens se dirigent vers l'événement annuel. 

                                                                                   ----

Hilare, Iris ne peut s'arrêter de rire. 

- C'était génial ! Articule-t-elle entre deux fous rire. On recommence ?

Elle gesticule comme une enfant. Jamie, lui, blafard, est complètement désarçonné.

- Je ne pense pas que ça soit une bonne idée. Bafouille-t-il en s'asseyant quelques instants. 

- Je pense aussi. Je ne saurais pas quoi faire si tu me fais un second malaise. Plaisante Iris. 

Puis, face à son trouble, elle se calme et s'assoit à ses côtés. Doucement, elle lui presse la main. Le garçon, lui, est encore dans les vapes. 

- On peut aller prendre une barbe à papa si tu préfères. Qu'en penses-tu ? 

Et cette seule phrase suffit pour que ses yeux s'illuminent. En un rien de temps, Jamie est sur pied. Il lui prend la main, comme le ferait un enfant et la tire avec vigueur vers le stand de sucreries. Ils arpent la fête foraine, guidés par le rythme relevé de Jamie : ils passent devant la grande roue, où de nombreux couples font la queue, puis devant la pêche aux canards où quelques parents encouragent leurs enfants.

Subitement, Iris s'arrête un instant et le questionne  :

- Comment tu t'en souvenais ? Je veux dire, comment tu te souvenais que j'adorais le train fantôme ? 

Il plisse les yeux et se tourne vers la jeune-fille. Lui aussi s'arrête. Il observe quelques instants la fête foraine, d'un oeil pensif. Finalement, après quelques secondes, il confesse : 

- Tu sais, tu n'es pas la seule à avoir le sens du détail. Et ce, depuis un bon moment déjà.

Et cette réponse lui suffit amplement. Elle se souvient de ses après-midi avec Achille à la fête foraine. Elle se souvient aussi de Jamie, timide, qui observait les enfants jouer. Elle réalise soudain qu'il a toujours été là, mutique. Lui aussi a tout vécu, à ses côtés. Seulement lui était tapi. Sans un mot, elle glisse sa main dans la sienne. Les yeux de Jamie la fixent. Bruns, ils sont pourtant, à cet instant précis, si limpides, si purs. Ils sont si vivaces, si bienveillants. Il reprend alors sa main et la tire doucement vers le stand de confiseries. Iris, elle, est totalement désarçonnée. Pendant quelques secondes, elle le regarde. Il a changé. Ou peut-être est-ce la vision de la jeune-femme qui est différente ? Elle ne sait pas vraiment. Ce qu'elle sait, ce dont elle est persuadée, est qu'elle apprécie bien ce nouveau Jamie. Il n'est plus aussi insupportable qu'avant. Il est plus doux, plus authentique. Il est profond. Elle l'observe demander avec excitation deux barbes à papa. Il plaisante même  avec Fred, le vendeur traditionnelle de confiseries de la ville. Il est si heureux qu'elle n'ose même pas lui dire qu'elle n'aime pas spécialement les barbes à papa. Comme les sushis avec Achille. Elle déteste ça. Mais pour lui, elle était prête à en manger chaque jour. Soudain, ses yeux se retrouvent happés. Le jardin. Elle l'aperçoit. Le petit parc, à côté de l'école. Celui qui donne sur la fête foraine également.  Elle peine à respirer. Elle l'avait complétement oublié. Evaporé de son esprit. Ses yeux se brouillent. Elle bredouille quelques paroles insensés à Jamie avant de le planter et de se diriger avec hâte vers le parc. Jamie a à peine le temps de réaliser que la jeune-femme a déjà disparu dans la foule. Et il se retrouve seul, deux barbes à papa en main, au milieu de cette foule. Comme lorsqu'il était enfant. Encore une fois, elle le choisit lui. 

Victoire, elle, court jusqu'en s'époumoner. Elle slalome entre la foule et bouscule maladroitement les gens. Elle a à peine le temps de remettre de l'ordre dans ses pensées que déjà la grille du parc se présente devant elle. Elle respire bruyamment. 

Et s'il était déjà parti ? Et s'il est encore là ? Comment va-t-elle réagir ? Est-il toujours le même ? Aussi beau ? Se souvient-elle de ses traits ? Et lui, des siens ?

Elle pousse doucement le portail. La nuit se couche ; le parc est désert. Les sentiers semblent interminables. Elle les sillonne en se dirigeant vers leur banc habituel, dissimulé derrière un grand chêne. Aucun bruit. Juste le vent. Et ses pas qui résonnent sur le sol. Juste elle. Juste lui. Et cette nature qui les a vus naitre, grandir ensemble. Cette nature qui les a vus s'abandonner, se déchirer. Cette nature, impassible, qui les voit aujourd'hui se retrouver.                                                  Iris, bien trop rapidement, aperçoit l'arbre. Lui qui n'a pas changé. Il est resté le même. Et c'est bien le seul. Soudain elle n'ose plus faire un pas. Derrière les feuillages, des boucles brunes balancent au gré du vent. Il ne l'a pas remarquée. Il est là.  Achille l'attend, patiemment. 





Le vent sur ma peauOù les histoires vivent. Découvrez maintenant